CHRONIQUE MUSICALE
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE : « TANNHÆUSER »,
OPÉRA EN TROIS ACTES, DE RICHARD WAGNER.
C’est peut-être un fait sans précédent dans l’histoire du théâtre que la reprise
d'un ouvrage interrompu à sa troisième représentation par les huées et le scandale
et poursuivant glorieusement ses destinées plus de trente ans après. Des détails
d’un tel événement, et des circonstances qui l’ont motivé, nous ne voulons ici
rien rappeler pour épargner à nos lecteurs de fastidieuses redites; mais, en dehors
des considérations historiques, n’y a-t-il pas une sorte de moralité à tirer du présent
triomphe de Tannhäuser? N’est-il pas réconfortant de penser que rien, ni la mal-
veillance, ni la sottise, ne prévaut contre l’effort du génie, et que les grandes
œuvres, jaillies du plus profond de l’âme d’un artiste, ont en elles une vertu, qui
survit à toutes les épreuves et tôt ou tard force la victoire? De cette vérité, la
' fortune de Tannhäuser est une des plus éclatantes démonstrations qui nous aient été
offertes jusqu'à présent. Tl nous est permis d’en attendre d’autres : l’arrêt rendu
jadis contre Berlioz, au théâtre, devra, un jour ou l’autre, être aussi rapporté. Se
pourrait-il qu’on voulût décidément oublier que le plus génial des maîtres français
a laissé un chef-d’œuvre de musique dramatique dont nous attendons encore la
première représentation?
On peut, en ce qui concerne Tannhäuser, se réjouir doublement du succès, pour
la raison que nous venons de donner d’abord, et ensuite parce que, de toutes les
manifestations wagnériennes auxquelles l’Opéra s’est livré en ces derniers temps,
celle-ci est incontestablement la mieux réussie, la plus conforme aux intentions
du maître. La présence de M. Van Dyek, la belle interprétation qu’il nous a
donnée du personnage principal, sont sans doute pour beaucoup dans l’impres-
sion qu’a produite Tannhäuser. Mais il ne faut pas oublier non plus que les
directeurs de l’Opéra ont pu cette fois s’inspirer des traditions de Bayreuth en
assistant aux récentes représentations de l’ouvrage. Ni Lohengrin, ni la Walkyrie
ne nous ont, comme Tannhäuser, donné la sensation originale de l’art de Wagner.
Tandis qu’on avait, chose singulière, rapproché de l’exécution d’opéra ces deux
drames qui diffèrent si profondément de l’opéra par leur contexture, pour
Tamhäuser, qui en est beaucoup plus voisin, on s’est efforcé de faire prévaloir le
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE : « TANNHÆUSER »,
OPÉRA EN TROIS ACTES, DE RICHARD WAGNER.
C’est peut-être un fait sans précédent dans l’histoire du théâtre que la reprise
d'un ouvrage interrompu à sa troisième représentation par les huées et le scandale
et poursuivant glorieusement ses destinées plus de trente ans après. Des détails
d’un tel événement, et des circonstances qui l’ont motivé, nous ne voulons ici
rien rappeler pour épargner à nos lecteurs de fastidieuses redites; mais, en dehors
des considérations historiques, n’y a-t-il pas une sorte de moralité à tirer du présent
triomphe de Tannhäuser? N’est-il pas réconfortant de penser que rien, ni la mal-
veillance, ni la sottise, ne prévaut contre l’effort du génie, et que les grandes
œuvres, jaillies du plus profond de l’âme d’un artiste, ont en elles une vertu, qui
survit à toutes les épreuves et tôt ou tard force la victoire? De cette vérité, la
' fortune de Tannhäuser est une des plus éclatantes démonstrations qui nous aient été
offertes jusqu'à présent. Tl nous est permis d’en attendre d’autres : l’arrêt rendu
jadis contre Berlioz, au théâtre, devra, un jour ou l’autre, être aussi rapporté. Se
pourrait-il qu’on voulût décidément oublier que le plus génial des maîtres français
a laissé un chef-d’œuvre de musique dramatique dont nous attendons encore la
première représentation?
On peut, en ce qui concerne Tannhäuser, se réjouir doublement du succès, pour
la raison que nous venons de donner d’abord, et ensuite parce que, de toutes les
manifestations wagnériennes auxquelles l’Opéra s’est livré en ces derniers temps,
celle-ci est incontestablement la mieux réussie, la plus conforme aux intentions
du maître. La présence de M. Van Dyek, la belle interprétation qu’il nous a
donnée du personnage principal, sont sans doute pour beaucoup dans l’impres-
sion qu’a produite Tannhäuser. Mais il ne faut pas oublier non plus que les
directeurs de l’Opéra ont pu cette fois s’inspirer des traditions de Bayreuth en
assistant aux récentes représentations de l’ouvrage. Ni Lohengrin, ni la Walkyrie
ne nous ont, comme Tannhäuser, donné la sensation originale de l’art de Wagner.
Tandis qu’on avait, chose singulière, rapproché de l’exécution d’opéra ces deux
drames qui diffèrent si profondément de l’opéra par leur contexture, pour
Tamhäuser, qui en est beaucoup plus voisin, on s’est efforcé de faire prévaloir le