UN P OUTRAIT
DE
MADAME LUCIEN BONAPARTE
PAR LE BARON GROS
Depuis que le Musée du Louvre consacre ses efforts à combler les
lacunes des salles où il conserve une bonne part de l'histoire de la
peinture française, il a mieux à faire qu’à suivre la mode : il nous
doit des séries chronologiques, des échantillons de chaque école,
choisis sine ira nec studio.
Le nouveau portrait du baron Gros que le Musée a récemment
acquis date des premières années du xix° siècle, sinon de 1800, et n’a
pas ces grâces qui gagnent le spectateur d’emblée; il éveille lente-
ment des pensées mélancoliques, comme ferait la rencontre d’une
nymphe de marbre, abandonnée sans gloire au fond d’un parc, en
automne. Or, c’est en effet le portrait d’une jeune femme pour qui
la vie eut un court sourire, et Gros, ami de la famille, l’a peint en
Italie quelques jours après la mort du modèle. Ainsi s’expliquent
l'impersonnelle tristesse de cette effigie, l’alanguissement du geste,
le demi-jour du site et jusqu’à l’allégorie de la rose que le torrent
emporte. Telle, au goût d’alors, devait être représentée cette Cathe-
rine (ou Christine) Boyer que Lucien Bonaparte épousa par amour et
perdit après cinq années de mariage.
Le second mariage de Lucien Bonaparte, qui déchaîna de si
lourdes foudres sur lui et fit de Mlle de Bleschamp une héroïne
passive et persécutée, n’a pas peu contribué à rejeter dans l’ombre
la pauvre Catherine, la première aimée, la fille d’un aubergiste du
DE
MADAME LUCIEN BONAPARTE
PAR LE BARON GROS
Depuis que le Musée du Louvre consacre ses efforts à combler les
lacunes des salles où il conserve une bonne part de l'histoire de la
peinture française, il a mieux à faire qu’à suivre la mode : il nous
doit des séries chronologiques, des échantillons de chaque école,
choisis sine ira nec studio.
Le nouveau portrait du baron Gros que le Musée a récemment
acquis date des premières années du xix° siècle, sinon de 1800, et n’a
pas ces grâces qui gagnent le spectateur d’emblée; il éveille lente-
ment des pensées mélancoliques, comme ferait la rencontre d’une
nymphe de marbre, abandonnée sans gloire au fond d’un parc, en
automne. Or, c’est en effet le portrait d’une jeune femme pour qui
la vie eut un court sourire, et Gros, ami de la famille, l’a peint en
Italie quelques jours après la mort du modèle. Ainsi s’expliquent
l'impersonnelle tristesse de cette effigie, l’alanguissement du geste,
le demi-jour du site et jusqu’à l’allégorie de la rose que le torrent
emporte. Telle, au goût d’alors, devait être représentée cette Cathe-
rine (ou Christine) Boyer que Lucien Bonaparte épousa par amour et
perdit après cinq années de mariage.
Le second mariage de Lucien Bonaparte, qui déchaîna de si
lourdes foudres sur lui et fit de Mlle de Bleschamp une héroïne
passive et persécutée, n’a pas peu contribué à rejeter dans l’ombre
la pauvre Catherine, la première aimée, la fille d’un aubergiste du