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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 14.1895

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Nr. 1
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Dukas, Paul: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24667#0095

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CHRONIQUE MUSICALE.



désirait l'enchaîner directement au premier andante de l’ouverture. D’ailleurs, le
Venusberg est d’une réalisation presque impossible, et le caractère de cette musique
demeurera toujours désespérément supérieur à l’interprétation plastique qu’on en
pourra donner. A l’Opéra, rien n’est plus froid, plus convenu, que les petites évolu-
tions chorégraphiques dont s’accompagne cet enfiévré tumulte instrumental. On
imaginait une pantomime grandiose, un furieux tourbillonnement de chair, et l’on
assiste à un divertissement étriqué que pourraient presque rythmer les pizzicati de
Sylvia. La danse des Grâces et les apparitions qui terminent la scène sont mieux
réglées. Mais quel goût singulier dans l’arrangement des transformations du premier
plan, pendant la fin de cet épisode et le duo de Tannhäuser et de Vénus ! La grotte
où la déesse veut entraîner son chevalier est digne du Châtelet. N'eût-il donc pas
été possible, à défaut d’un sens décoratif raffiné, de montrer, en cette occasion, un
peu moins d'amour pour le criard et le clinquant?

Wagner avait considérablement allongé, en 1861, la scène entre Vénus et
Tannhäuser. Ce remaniement répondait à un besoin d’équilibre, la version primi-
tive de l’ouvrage n’accordant pas assez d’importance au personnage de Vénus. Dans
le texte définitif, la figure de la déesse est plus largement dessinée et nous com-
prenons mieux l'ascendant qu’elle exerce sur Tannhäuser; il est incontestable que
la première rédaction du poème était moins suffisante à cet égard. On n’a qu à
comparer les deux éditions de l'œuvre pour s’en assurer. Quelle puissance d’ailleurs
et quel charme dans cette scène écrite d’un style si enveloppant par endroits,
et en d’autres si âprement douloureux! Après quelles alternatives d’exaltation sen-
suelle, d’amers regrets, de désespérée lassitude, Tannhäuser, dans une suprême
tension de tout son être, parvient-il, non pas tant â s’arracher de ce monde de
volupté, qui, personnifié par Vénus, l’implore, le menace, se lamente et sourit
irrésistiblement, qu’à l’arracher de lui! M.Van Dyck a magnifiquement gradué cette
scène par le geste et la voix depuis le réveil morne-de Tannhäuser jusqu’au moment
où le nom de Marie, proféré comme en une extase déchirante, fait s'engloutir dans
les ténèbres le séjour de perdition. M"° Bréval, par contre, n’a pas paru com-
prendre toute l’importance et toute la beauté du rôle de Vénus ; elle Ta déclamé
d’une voix superbe, mais avec un visible ennui, et l’a mimé avec de fort beaux bras,
mais non sans maussaderie ; on peut aussi lui reprocher d’articuler fort indistinc-
tement; il nous a été presque impossible d’entendre un mot de son rôle.

11 faut avoir vu, au théâtre, cette transformation de décor presque psychologique
qui du Venusberg nous transporte dans la vallée de la Wartburg, pour com-
prendre à quel point Wagner possédait le génie du théâtre et comme il savait
en utiliser les ressources en vue d’un but poétique supérieur. Ce merveilleux
contraste, que rend plus émouvant encore la présence de Tannhäuser immobile, dans
l’attitude où tout à l’heure il défiait Vénus, est une des trouvailles les plus saisis-
santes de son drame. Cette paix des bois, ces cloches au loin, ce calme silence où
monte la fraîche voix du petit pâtre et ces accords religieux du chœur des pèlerins
qui de très loin s’approchent et font s'incliner vers la terre le front coupable du
pécheur, tout cela pénètre d’une indicible émotion que porte au comble le sanglot
repentant de Tannhäuser : « Seigneur, gloire à toi ! Les merveilles de ta grâce sont
infinies! »

Il faut avouer qu’après de telles beautés l’arrivée du landgrave et des chanteurs,
les phrases généreuses et nobles de Wolfram, les expansions italiennes du septuor
 
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