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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La dévotion inquiète, ardente, à l’éternel modèle, on ne la
rencontre, en ce temps d’analyse impassible, que chez des tempé-
raments d’exception, et retenons comment alors elle se manifeste :
à la manière des classiques et de MM. Harpignies, Émile Michel,
Zuber, Leliepvre qui convoitent, pour mieux glorifier, la majesté
des décors imposants; selon le mode voilé, particulier à M. Cazin et
à sa descendance, MM. Billotte, Costeau; enfin par l'exaltation de la
lumière. Ici, il sied de ne verser dans aucune complaisance vaine :
attribuer à l’impressionnisme (représenté par ses disciples indirects,
M. Eliot, M. Chudant, et par un de ses chefs, M. Sisley) le monopole
des recherches d’ambiance serait aller à l’encontre de la vérité et
réduire à une question de technique tout un ordre d’observations;
M. Boudin, M. Lebourg.M. Gagliardini, qui ne procèdent pas par la
division du ton et par sa recomposition optique, n’en ont pas moins
réussi à dire avec justesse le va-et-vient papillotant d’une place de
marché, la neige ensoleillée et bleuissante, les ardeurs implacables
ducieldeProvence; — par surcroît, on risquerait d’affirmer pour l’éclat
vibrant du plein jour une prédilection trop ouvertement déclarée,
trop jalouse. N’est-il pas arrivé à l’école impressionniste d’exclure
de ses gloires M. Pointelin ? Comme s’il n’avait pas su rendre dans sa
plénitude l’impression première produite par les échappées immenses!
On dirait, en voyant ce monde sans échos,
Que l’on contemple un songe à travers le passé,
Le fantôme d’un monde où la vie a cessé.
Mais Pempêchement vint de ce que le traducteur de Lamartine
choisit pour la mise en tableaux, en pastels, en fusains des Harmonies
poétiques, l’instant cher à M. Henner, où le soleil a disparu, où un
« éther plus pur » enveloppe les sapinières échelonnées aux flancs
des monts jurassiques :
Leurs contours qu’il éteint, leur cime qu’il efface
Semblent nager dans l’air et trembler dans l’espace...
Un silence pieux s’étend sur la nature...
En dehors de M. Pointelin etdes impressionnistes, une élite se sin-
gularise à interroger la campagne, l’océan, avec des regards anxieux,
sans le secours d’aucun appareil scientifique ; ni la loupe, ni le compas,
ni la chambre noire n’eussent permis à M. Victor Binet de fixer la lente
chute des feuilles jaunies tournoyant par l’aigre bise, à M. Nozal de
saisir la caresse affaiblie du rayon de novembre traînant à la surface
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La dévotion inquiète, ardente, à l’éternel modèle, on ne la
rencontre, en ce temps d’analyse impassible, que chez des tempé-
raments d’exception, et retenons comment alors elle se manifeste :
à la manière des classiques et de MM. Harpignies, Émile Michel,
Zuber, Leliepvre qui convoitent, pour mieux glorifier, la majesté
des décors imposants; selon le mode voilé, particulier à M. Cazin et
à sa descendance, MM. Billotte, Costeau; enfin par l'exaltation de la
lumière. Ici, il sied de ne verser dans aucune complaisance vaine :
attribuer à l’impressionnisme (représenté par ses disciples indirects,
M. Eliot, M. Chudant, et par un de ses chefs, M. Sisley) le monopole
des recherches d’ambiance serait aller à l’encontre de la vérité et
réduire à une question de technique tout un ordre d’observations;
M. Boudin, M. Lebourg.M. Gagliardini, qui ne procèdent pas par la
division du ton et par sa recomposition optique, n’en ont pas moins
réussi à dire avec justesse le va-et-vient papillotant d’une place de
marché, la neige ensoleillée et bleuissante, les ardeurs implacables
ducieldeProvence; — par surcroît, on risquerait d’affirmer pour l’éclat
vibrant du plein jour une prédilection trop ouvertement déclarée,
trop jalouse. N’est-il pas arrivé à l’école impressionniste d’exclure
de ses gloires M. Pointelin ? Comme s’il n’avait pas su rendre dans sa
plénitude l’impression première produite par les échappées immenses!
On dirait, en voyant ce monde sans échos,
Que l’on contemple un songe à travers le passé,
Le fantôme d’un monde où la vie a cessé.
Mais Pempêchement vint de ce que le traducteur de Lamartine
choisit pour la mise en tableaux, en pastels, en fusains des Harmonies
poétiques, l’instant cher à M. Henner, où le soleil a disparu, où un
« éther plus pur » enveloppe les sapinières échelonnées aux flancs
des monts jurassiques :
Leurs contours qu’il éteint, leur cime qu’il efface
Semblent nager dans l’air et trembler dans l’espace...
Un silence pieux s’étend sur la nature...
En dehors de M. Pointelin etdes impressionnistes, une élite se sin-
gularise à interroger la campagne, l’océan, avec des regards anxieux,
sans le secours d’aucun appareil scientifique ; ni la loupe, ni le compas,
ni la chambre noire n’eussent permis à M. Victor Binet de fixer la lente
chute des feuilles jaunies tournoyant par l’aigre bise, à M. Nozal de
saisir la caresse affaiblie du rayon de novembre traînant à la surface