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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
vient évidemment de sa situation sur les jardins et de la vue sur la
large nappe du Mincio. Des fenêtres élevées des Camerini, les yeux se
portent vers Pietole, le berceau de Virgile; l’horizon se ferme sur
les fonds de verdure où disparaît le Mincio, qui reprend son libre
cours après avoir formé les lacs où se mirent le Castello et la Reggia,
et confond ses eaux avec celles du Pô, vers Governolo.
Les dimensions des camerini d’Isabelle d’Este sont presque aussi
restreintes que celles du premier studiolo du Castello. Ces retraites
sont dans le goût des princes et des princesses du xve siècle en Italie ;
leurs proportions sont partout les mêmes : aux camerini des Este à
Ferrare; au cabinet de Frédéric de Montefeltre au Palais d’Urbin,
comme au Paradiso de Catarina Sforza à Forli. Les trois petites
pièces qu’Isabelle s’est réservées ont une parfaite unité; la pre-
mière, par ses attributs et certaines allusions dans le décor, semble
avoir été plus spécialement dédiée .à la musique ; la seconde était
consacrée à la peinture; la troisième, un peu plus vaste et vouée à la
réception, ménageait la transition avec l’appartement proprement dit.
L’impi’ession est très vive quand, après avoir suivi jour par jour
la vie d’Isabelle d’Este dans cette incessante correspondance qu’elle
entretenait avec les artistes et les lettrés de son temps, et cherché
en vain sa trace personnelle dans ce dédale des palais de la Reggia,
on pénètre enfin dans cette dernière retraite, vrai chef-d’œuvre du
goût épuré des premières années du xvie siècle, aujourd’hui légè-
rement modifiée dans le détail et surtout dépourvue de sa décoration
picturale d’autrefois, mais restée intacte dans son architecture.
La connaissance de mille circonstances qui se rapportent au lieu
même et à la préoccupation constante qu’avait Isabelle d’embellir
chaque jour sa retraite, nous permet de nous la figurer telle qu’elle
était jadis, d’en reconstituer le primitif aspect et d’évoquer, dans son
vrai cadre, l’image de celle qui fit de ce studiolo du Paradis un véri-
table sanctuaire d’art, où tout parle encore d’elle par les symboles,
les inscriptions et les devises.
Tout autour de la première chambre, la plus petite de toutes,
règne, à hauteur d’homme, une série de panneaux ornés d'intarsio-
ture de bois précieux, représentant des vues de villes, des places
publiques avec monuments et des instruments de musique; ce sys-
tème d’ornementation est très fréquent dans le nord, nous le retrou-
vons à Urbin, à Brescia, à Crémone. Tout au bas de l’un de ces
panneaux, à l’angle de la salle opposé au côté des jardins, une portée
musicale, incrustée en bois, montre, sous l’annotation et les paroles
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
vient évidemment de sa situation sur les jardins et de la vue sur la
large nappe du Mincio. Des fenêtres élevées des Camerini, les yeux se
portent vers Pietole, le berceau de Virgile; l’horizon se ferme sur
les fonds de verdure où disparaît le Mincio, qui reprend son libre
cours après avoir formé les lacs où se mirent le Castello et la Reggia,
et confond ses eaux avec celles du Pô, vers Governolo.
Les dimensions des camerini d’Isabelle d’Este sont presque aussi
restreintes que celles du premier studiolo du Castello. Ces retraites
sont dans le goût des princes et des princesses du xve siècle en Italie ;
leurs proportions sont partout les mêmes : aux camerini des Este à
Ferrare; au cabinet de Frédéric de Montefeltre au Palais d’Urbin,
comme au Paradiso de Catarina Sforza à Forli. Les trois petites
pièces qu’Isabelle s’est réservées ont une parfaite unité; la pre-
mière, par ses attributs et certaines allusions dans le décor, semble
avoir été plus spécialement dédiée .à la musique ; la seconde était
consacrée à la peinture; la troisième, un peu plus vaste et vouée à la
réception, ménageait la transition avec l’appartement proprement dit.
L’impi’ession est très vive quand, après avoir suivi jour par jour
la vie d’Isabelle d’Este dans cette incessante correspondance qu’elle
entretenait avec les artistes et les lettrés de son temps, et cherché
en vain sa trace personnelle dans ce dédale des palais de la Reggia,
on pénètre enfin dans cette dernière retraite, vrai chef-d’œuvre du
goût épuré des premières années du xvie siècle, aujourd’hui légè-
rement modifiée dans le détail et surtout dépourvue de sa décoration
picturale d’autrefois, mais restée intacte dans son architecture.
La connaissance de mille circonstances qui se rapportent au lieu
même et à la préoccupation constante qu’avait Isabelle d’embellir
chaque jour sa retraite, nous permet de nous la figurer telle qu’elle
était jadis, d’en reconstituer le primitif aspect et d’évoquer, dans son
vrai cadre, l’image de celle qui fit de ce studiolo du Paradis un véri-
table sanctuaire d’art, où tout parle encore d’elle par les symboles,
les inscriptions et les devises.
Tout autour de la première chambre, la plus petite de toutes,
règne, à hauteur d’homme, une série de panneaux ornés d'intarsio-
ture de bois précieux, représentant des vues de villes, des places
publiques avec monuments et des instruments de musique; ce sys-
tème d’ornementation est très fréquent dans le nord, nous le retrou-
vons à Urbin, à Brescia, à Crémone. Tout au bas de l’un de ces
panneaux, à l’angle de la salle opposé au côté des jardins, une portée
musicale, incrustée en bois, montre, sous l’annotation et les paroles