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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
refusé l’une d’elles à un prix, dérisoire cinq ou six années aupara-
vant. Deux ivoires français duxui0 et du xvie siècle, le Couronnement
de la Vierge et la Vierge portant l'Enfant Jésus, avaient été jugés dignes
de prendre place dans une série encore à ce moment d’une remar-
quable indigence.
Tous ceux qui aiment l’art français du moyen âge connaissent
l’un et l’autre deces monuments : dès leur entrée au Louvre, ils furent
considérés, à des titres différents, comme des chefs-d’œuvre. Mais ce
ne fut que plus tard que l’on commença à soupçonner leur illustre
origine. Leur généalogie, dans ses grandes lignes du moins, était
relativement peu difficile à établir. La Vierge portant l'Enfant Jésus
fit jadis partie de la collection personnelle d’Alexandre Lenoir, le
fondateur du Musée des monuments français, et figura à sa vente,
en 1837, où Deburge-Duménil en fit l'acquisition. Ce bel ivoire, d’un
maniérisme si délicat, a donc figuré dans des collections célèbres ;
mais ce qui constitue pour lui un titre bien autrement sérieux, c’est
qu’il est de toute probabilité que, quand Lenoir l’acheta au prix,
énorme pour le temps, de cinq cents francs ', elle sortait delà Sainte-
Chapelle : c’est elle, à n’en pas douter, que Ton peut suivre dans les
inventaires, depuis 1480 tout au moins jusqu’en 1790, date à laquelle
l’auteur de l’Histoire de la sainte chapelle du palais., Morand, la décrit
encore. Elle a perdu, hélas ! sa base en argent émaillé, mais heureu-
sement la statuette nous est parvenue absolument intacte.
L’origine du Couronnement de la Vierge était plus difficile à établir,
et ce n’est que peu à peu qu’on est arrivé à la connaître, en partie du
moins. Les ornements peints et dorés épars sur la robe de la Vierge
fournissaient bien une indication tout à fait concordante avec le style
de la sculpture : ces ornements représentent des fleurs de lys et des
bars, et il n’était guère douteux que ce monument avait été créé sous
le règne de Philippe III le Hardi, peut-être pour le roi lui-même ou
pour sa femme, Marie de Lorraine et de Bar. Mais ce groupe digne
d’être comparé, au point de vue de la grandeur de la conception et
de la simplicité de la facture, avec les plus belles sculptures françaises
du xvme siècle, avec les figures de Reims ou de Chartres, était-il
complet? Avait-il été conçu tel qu’on le voj^ait? L’artiste n’avait-il pas
jugé à propos de créer une scène plus compliquée, analogue aux
bas-reliefs qui représentent la glorification de la Vierge aux tympans
de tant d’églises gothiques?Ce sont là des questions qu’on ne se posa 1
1. Je dois ce renseignement à mon excellent confrère M. de Champeaux.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
refusé l’une d’elles à un prix, dérisoire cinq ou six années aupara-
vant. Deux ivoires français duxui0 et du xvie siècle, le Couronnement
de la Vierge et la Vierge portant l'Enfant Jésus, avaient été jugés dignes
de prendre place dans une série encore à ce moment d’une remar-
quable indigence.
Tous ceux qui aiment l’art français du moyen âge connaissent
l’un et l’autre deces monuments : dès leur entrée au Louvre, ils furent
considérés, à des titres différents, comme des chefs-d’œuvre. Mais ce
ne fut que plus tard que l’on commença à soupçonner leur illustre
origine. Leur généalogie, dans ses grandes lignes du moins, était
relativement peu difficile à établir. La Vierge portant l'Enfant Jésus
fit jadis partie de la collection personnelle d’Alexandre Lenoir, le
fondateur du Musée des monuments français, et figura à sa vente,
en 1837, où Deburge-Duménil en fit l'acquisition. Ce bel ivoire, d’un
maniérisme si délicat, a donc figuré dans des collections célèbres ;
mais ce qui constitue pour lui un titre bien autrement sérieux, c’est
qu’il est de toute probabilité que, quand Lenoir l’acheta au prix,
énorme pour le temps, de cinq cents francs ', elle sortait delà Sainte-
Chapelle : c’est elle, à n’en pas douter, que Ton peut suivre dans les
inventaires, depuis 1480 tout au moins jusqu’en 1790, date à laquelle
l’auteur de l’Histoire de la sainte chapelle du palais., Morand, la décrit
encore. Elle a perdu, hélas ! sa base en argent émaillé, mais heureu-
sement la statuette nous est parvenue absolument intacte.
L’origine du Couronnement de la Vierge était plus difficile à établir,
et ce n’est que peu à peu qu’on est arrivé à la connaître, en partie du
moins. Les ornements peints et dorés épars sur la robe de la Vierge
fournissaient bien une indication tout à fait concordante avec le style
de la sculpture : ces ornements représentent des fleurs de lys et des
bars, et il n’était guère douteux que ce monument avait été créé sous
le règne de Philippe III le Hardi, peut-être pour le roi lui-même ou
pour sa femme, Marie de Lorraine et de Bar. Mais ce groupe digne
d’être comparé, au point de vue de la grandeur de la conception et
de la simplicité de la facture, avec les plus belles sculptures françaises
du xvme siècle, avec les figures de Reims ou de Chartres, était-il
complet? Avait-il été conçu tel qu’on le voj^ait? L’artiste n’avait-il pas
jugé à propos de créer une scène plus compliquée, analogue aux
bas-reliefs qui représentent la glorification de la Vierge aux tympans
de tant d’églises gothiques?Ce sont là des questions qu’on ne se posa 1
1. Je dois ce renseignement à mon excellent confrère M. de Champeaux.