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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
par la cité entière, et rentrent le vingtième jour du même mois
dans le megaron, couverts de voiles qui les dérobent à tous les regards.
Là s’arrêtait tout ce que savait la foule des cultes de la déesse ; les
initiés en savaient-ils plus? Leurs prérogatives se bornaient à con-
naître le cri mystique, Τη, κόε, qui n’a pas de traduction possible; à
voir les iera face à face, et à assister au drame sacré représentant le
rapt de Coré, la course de Déméter, Céléus et la déesse, et Triptolème
et les serpents, drame où le geste indécent de Baubo ' occupait la
première place et dont Grégoire de Nazianze nous a laissé cet aperçu :
« Ce n’est point dans notre religion qu’une Déméter est errante et met
en scène des Céléus et des Triptolème avec des serpents ; qu’elle fait
certaines choses.,, et qu’elle en souffre d’autres... J’ai honte en effet
de révéler à la lumière du jour les cérémonies de l’initiation. Eleusis
le sait, ainsi que les témoins de ce spectacle, sur lequel on garde, et
Ton a raison de garder le silence. »
D’abord révoquée en doute, comme étant celle d’un scoliaste, cette
affirmation s’est trouvée confirmée par un hymne orphique, dont les
vers ne laissent place à aucun doute. De même qu’en l’iiiérogamie
eumolpide, Déméter s’y livre à Céléus, et Eubouleus est leur fils.
Enfin, d’après Tertullien, la prêtresse figurant Déméter dans la
représentation du mystère était enlevée de vive force, comme l’avait
été la Déesse, et, pour symboliser la conception de celle-ci, les acteurs
descendaient dans un caveau obscur. Le seul trait rappelant l’Égypte
était l’époptie finale de la représentation : l’épi coupé et offert en
silence aux mystes assemblés.
L’esprit grec ne pouvait évidemment retenir de tout cela que ce
qui se prêtait à interprétations scabreuses, et c’est de cette interpréta-
tion que, non moins naturellement,les artistes alexandrins s’empres-
sèrent de s’emparer, lorsqu’ils entreprirent d’assimiler la Déméter
éleusinienne à Isis. Aussi, les figures non obscènes -, les seules dont
il sera question ici, se bornent-elles à donner à la déesse des attributs
qui rappellent d’une manière plus ou moins tangible ce rôle d’éduca-
trice agricole auquel il a été tout à l’heure fait allusion. L’Isis
égypto-grecque est une Cérès vêtue d’une longue robe plissée, une
matrone joufflue, non plus couronnée d’épis, mais d’une sorte de
1. On a cru voir dans le geste de Baubo un ressouvenir de l’attitude des femmes
égyptiennes à la fête de Bubaste ; cette opinion paraît erronée, la procession de
Bubaste n’ayant été instituée qu’à l'époque des Ptolémées.
2. Les figures de Baubo sont fort nombreuses en Égypte; on les trouve par
centaines dans les ruines des villes plolémaïques et romaines.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
par la cité entière, et rentrent le vingtième jour du même mois
dans le megaron, couverts de voiles qui les dérobent à tous les regards.
Là s’arrêtait tout ce que savait la foule des cultes de la déesse ; les
initiés en savaient-ils plus? Leurs prérogatives se bornaient à con-
naître le cri mystique, Τη, κόε, qui n’a pas de traduction possible; à
voir les iera face à face, et à assister au drame sacré représentant le
rapt de Coré, la course de Déméter, Céléus et la déesse, et Triptolème
et les serpents, drame où le geste indécent de Baubo ' occupait la
première place et dont Grégoire de Nazianze nous a laissé cet aperçu :
« Ce n’est point dans notre religion qu’une Déméter est errante et met
en scène des Céléus et des Triptolème avec des serpents ; qu’elle fait
certaines choses.,, et qu’elle en souffre d’autres... J’ai honte en effet
de révéler à la lumière du jour les cérémonies de l’initiation. Eleusis
le sait, ainsi que les témoins de ce spectacle, sur lequel on garde, et
Ton a raison de garder le silence. »
D’abord révoquée en doute, comme étant celle d’un scoliaste, cette
affirmation s’est trouvée confirmée par un hymne orphique, dont les
vers ne laissent place à aucun doute. De même qu’en l’iiiérogamie
eumolpide, Déméter s’y livre à Céléus, et Eubouleus est leur fils.
Enfin, d’après Tertullien, la prêtresse figurant Déméter dans la
représentation du mystère était enlevée de vive force, comme l’avait
été la Déesse, et, pour symboliser la conception de celle-ci, les acteurs
descendaient dans un caveau obscur. Le seul trait rappelant l’Égypte
était l’époptie finale de la représentation : l’épi coupé et offert en
silence aux mystes assemblés.
L’esprit grec ne pouvait évidemment retenir de tout cela que ce
qui se prêtait à interprétations scabreuses, et c’est de cette interpréta-
tion que, non moins naturellement,les artistes alexandrins s’empres-
sèrent de s’emparer, lorsqu’ils entreprirent d’assimiler la Déméter
éleusinienne à Isis. Aussi, les figures non obscènes -, les seules dont
il sera question ici, se bornent-elles à donner à la déesse des attributs
qui rappellent d’une manière plus ou moins tangible ce rôle d’éduca-
trice agricole auquel il a été tout à l’heure fait allusion. L’Isis
égypto-grecque est une Cérès vêtue d’une longue robe plissée, une
matrone joufflue, non plus couronnée d’épis, mais d’une sorte de
1. On a cru voir dans le geste de Baubo un ressouvenir de l’attitude des femmes
égyptiennes à la fête de Bubaste ; cette opinion paraît erronée, la procession de
Bubaste n’ayant été instituée qu’à l'époque des Ptolémées.
2. Les figures de Baubo sont fort nombreuses en Égypte; on les trouve par
centaines dans les ruines des villes plolémaïques et romaines.