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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 14.1895

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Nr. 5
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La madone de Castelfranco
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https://doi.org/10.11588/diglit.24667#0458

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434

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Madone de Castelfranco, date de la jeunesse du maître; mais déjà le
groupe divin est composé avec la plus franche liberté et placé, sans
scrupule, sur une scène humaine, éclairé d’une lumière pure, mais
sans fiction, naïvement simplifié.

La Vierge est une modeste jeune femme qui, sans geste, les yeux
baissés, enveloppée dans les plis d’un large manteau rouge et coiffée
d’un vulgaire linge blanc, préside avec le Bambino, du haut d’un
trône de marbre de structure sévère. L’altitude de l’horizon fait fuir
les lignes perspectives et permet d’apercevoir deux fragments d’un
paysage à demi conventionnel, éclairé par la lumière d’un beau soir.
A droite et à gauche du piédestal central, deux saints, dont les têtes
arrivent à peine à la hauteur des pieds de la Vierge, sont debout,
dans une attitude neutre et indifférente : l’un, saint François, vêtu
d’un froc sombre; l’autre, saint Libéral, en armure complète d’acier
noirci, heaume en tête, tentant un fanion à croix blanche sur fond
rouge. Tous deux portent ombre sur le pavé de marbre et font un
vigoureux repoussoir à la partie supérieure du tableau. Point d’orne-
ments à l’architecture; seuls, deux tapis d’Orient, relevés d’or,
habillent le trône divin et tombent sans plis.

On avouera que cette figuration religieuse est dépouillée de tous
les apprêts traditionnels et que, notamment, la figure de saint
François n’a rien de l’ascétisme ombrien. C’est que Zorzon avait à
satisfaire, non point un cardinal méticuleux et féru d’iconographie,
mais un bi'ave condottiere.

Castelfranco, la patrie du peintre, — où l’atmosphère de Venise
flotte déjà sur la plaine trevisane, où le paysage est doux et presque
sauvage, où les fleuves sont lents comme s’ils pressentaient la lagune
prochaine, et les villes fortifiées, de fière allure et de forte silhouette,
— Castelfranco, disons-nous, avait pour seigneur principal le vieux
chef de bandes Tuzio Costanzo qui guerroya tant et si bien pour le
compte de Catherine Cornaro. Revenu de Chypre avec sa souveraine,
il se reposait dans son château, au bord du Musone, pendant que son
fils Matteo, àia tête de cinquante lances, servait la République. Mais
la fortune, qui avait toujours souri aux armes du père, fut cruelle à
son fils, et Matteo mourait, en 1504, à Ravenne, dans la fleur de son
âge. C’est alors que Tuzio fit appeler Giorgione et lui commanda la
Madone que nous venons de décrire, pour orner la chapelle où son
fils fut enseveli dans l’église des saints François et Libéral de Castel-
franco. Cette église fut démolie et le tableau fut placé sur le maitre-
autel de l’église qui la remplaça.
 
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