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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
dinaire ni qu’il ait occupé une place de quelque importance dans
son temps. A vrai dire, depuis le Grand Condé, les princes n’avaient
guère fait parler d’eux d’une façon très avantageuse pour leur répu-
tation. Celui-ci du moins a droit à l’indulgence de l’histoire et peut-
être même, jusqu’à un certain point, à ses sympathies.
Il n.’.avait qu’une assez médiocre fortune et, comme tous les sei-
gneurs de l’époque, des goûts de dissipation qui le mirent continuel-
lement dans la nécessité de rechercher des situations et des places
capables de le sortir d’embarras et de lui permettre de vivre en
conformité avec son rang et son orgueil de famille. Cette soif des
honneurs et ces besoins d’argent, ces habitudes de vie fastueuse et
voluptueuse l’empêchèrent sans doute de déployer les qualités poli-
tiques ou militaires dont il fit preuve à quelques instants de sa vie.
La défiance du souverain et des maîtresses royales, le manque d’idéal
élevé d’une classe qui n’avait d’autre intérêt que celui de conserver
les places acquises et, cependant, la contradiction qui se manifestait
dans des esprits indépendants par leur situation même et qui ap-
puyaient le mouvement ascendant des idées nouvelles tout en défen-
dant énergiquement leurs préjugés, tous ces motifs font que ce prince
resta seulement dans l’histoire de son époque un homme de second
plan. Mais, du moins, il nous intéresse comme un des types curieux et
parfaits du grand seigneur au xvme siècle, généreux, libéral, cultivé,
«le dernier des princes», ainsi que l’appelèrent les contemporains,
sans malignité ni équivoque.
Il avait, d’ailleurs, de qui tenir, disait l’avocat Barbier, et il
rappelait son père, mort à trente-deux ans, ne laissant que des
regrets, et son grand-père qui, s’il n’avait pu charmer le grand roi,
avait du moins séduit toute sa cour. Il était né en 1717. Marié à
quatorze ans et veuf de bonne heure, il eut un fils, le comte de la
Marche, qui ne lui ressembla guère et en qui s’éteignit sa race. Il
mena une jeunesse assez dissolue, ce qui ne changeait rien aux
mœurs du temps, et conserva d’ailleurs jusqu’à la fin de sa vie cette
belle ardeur pour les filles du monde qui égayaient ses petits soupers
habituels, dont Ollivier nous trace un tableau, il est vrai, assez dis-
cret pour ne pas dire fort décent. En 1742, il servit comme volontaire
à l’armée de Maillebois, malgré l’ordre du roi, qui ne lui garda pas
rancune de sa désobéissance, en raison de sa belle conduite dans
cette campagne. En 1745, il commanda l’armée d’Allemagne; en
1746, il fit la campagne de Flandre, où il se conduisit encore bril-
lamment. Des difficultés qui s’élevèrent entre le maréchal de Saxe
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
dinaire ni qu’il ait occupé une place de quelque importance dans
son temps. A vrai dire, depuis le Grand Condé, les princes n’avaient
guère fait parler d’eux d’une façon très avantageuse pour leur répu-
tation. Celui-ci du moins a droit à l’indulgence de l’histoire et peut-
être même, jusqu’à un certain point, à ses sympathies.
Il n.’.avait qu’une assez médiocre fortune et, comme tous les sei-
gneurs de l’époque, des goûts de dissipation qui le mirent continuel-
lement dans la nécessité de rechercher des situations et des places
capables de le sortir d’embarras et de lui permettre de vivre en
conformité avec son rang et son orgueil de famille. Cette soif des
honneurs et ces besoins d’argent, ces habitudes de vie fastueuse et
voluptueuse l’empêchèrent sans doute de déployer les qualités poli-
tiques ou militaires dont il fit preuve à quelques instants de sa vie.
La défiance du souverain et des maîtresses royales, le manque d’idéal
élevé d’une classe qui n’avait d’autre intérêt que celui de conserver
les places acquises et, cependant, la contradiction qui se manifestait
dans des esprits indépendants par leur situation même et qui ap-
puyaient le mouvement ascendant des idées nouvelles tout en défen-
dant énergiquement leurs préjugés, tous ces motifs font que ce prince
resta seulement dans l’histoire de son époque un homme de second
plan. Mais, du moins, il nous intéresse comme un des types curieux et
parfaits du grand seigneur au xvme siècle, généreux, libéral, cultivé,
«le dernier des princes», ainsi que l’appelèrent les contemporains,
sans malignité ni équivoque.
Il avait, d’ailleurs, de qui tenir, disait l’avocat Barbier, et il
rappelait son père, mort à trente-deux ans, ne laissant que des
regrets, et son grand-père qui, s’il n’avait pu charmer le grand roi,
avait du moins séduit toute sa cour. Il était né en 1717. Marié à
quatorze ans et veuf de bonne heure, il eut un fils, le comte de la
Marche, qui ne lui ressembla guère et en qui s’éteignit sa race. Il
mena une jeunesse assez dissolue, ce qui ne changeait rien aux
mœurs du temps, et conserva d’ailleurs jusqu’à la fin de sa vie cette
belle ardeur pour les filles du monde qui égayaient ses petits soupers
habituels, dont Ollivier nous trace un tableau, il est vrai, assez dis-
cret pour ne pas dire fort décent. En 1742, il servit comme volontaire
à l’armée de Maillebois, malgré l’ordre du roi, qui ne lui garda pas
rancune de sa désobéissance, en raison de sa belle conduite dans
cette campagne. En 1745, il commanda l’armée d’Allemagne; en
1746, il fit la campagne de Flandre, où il se conduisit encore bril-
lamment. Des difficultés qui s’élevèrent entre le maréchal de Saxe