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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
et son élément de succès toujours certain, ne pouvait manquer
d'avoir la meilleure part aux soucis journaliers de ses crayons, et
des feuillets comme celui de La Laitière sentent la pleine franchise
de la vie et le sincère amour de la nouveauté.
La gravure de M. Patricot, le beau jeune maître dont la Gazette
révèle, à chaque petit chef-d’œuvre, l’émerveillante souplesse, nous
rend le royal cadeau de Mm0 de Rothschild avec une ferme poésie.
Tenter, après Charles Levasseur, le contemporain et l’officiel inter-
prète de Greuze, un nouveau cuivre de La Laitière, c’était, pour un
artiste du juste amour-propre de M. Patricot, un aléa de consé-
quence. La facture toute d’esprit de Levasseur péchait, il est vrai,
par de l’inexactitude dans l’air de tète du modèle altéré d’une pointe
d’afféterie citadine; mais, cet écart d’enjoliveur une fois constaté,
comme l’impeccable et léger burin transposait en vive lumière de
franchise et de joie la franche et joyeuse peinture ! Assurément, un
moderne allait se faire davantage scrupule de la vérité de physiono-
mie et peut-être l’atteindre ; mais où serait le progrès s’il bornait
sa réussite à la fidélité matérielle des traits, sans vivifier l’estampe
entière de tout le feu délicat du premier cuivre? Or, comment se
flatter d’ètrc un autre Levasseur et de retrouver son outil perdu ?
M. Patricot, par la nature même de ses traductions de style, sem-
blait le moins orienté vers cette tentative. Ce fut une raison pour
l'y déterminer : un graveur sur de son art et digne de l’honorer est
soucieux de variété, comme il l’est de perfection. Lire et traduire
tous les maîtres, n’importe l'époque ni l’école, est le rôle et l'ambi-
tion d'un buriniste, c’est aussi sa meilleure habileté, car plus il
s’assouplit dans la diversité, plus ses ouvrages gagnent en richesse
de ressources. M. Patricot l’a pensé de môme et s’est donné le régal
studieux d'un Greuze. A voir l’éclat de velours de ce cuivre, la
ressemblance de la figure conquise par un mélange de netteté discrète
et de rêveuse enveloppe, le dessin magique des étoffes, traitées
comme eût fait Rosi in, le cheval et les accessoires si pleins de
ragoût, on ne pourra s’empêcher de saluer en M. Patricot une maî-
trise cette fois complète, puisque, s’essayant à traduire l'intradui-
sible xvme siècle, il y pénètre comme en une terre déjà familièrement
connue.
Décidément, la gravure française refuse de mourir. Trop de gens
et de procédés chimiques ont annoncé sa fin, pour ne pas donner
à la belle imperturbable l’envie malicieuse de les faire mentir.
Et ce vingtième siècle débute avec les plus solides assurances
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et son élément de succès toujours certain, ne pouvait manquer
d'avoir la meilleure part aux soucis journaliers de ses crayons, et
des feuillets comme celui de La Laitière sentent la pleine franchise
de la vie et le sincère amour de la nouveauté.
La gravure de M. Patricot, le beau jeune maître dont la Gazette
révèle, à chaque petit chef-d’œuvre, l’émerveillante souplesse, nous
rend le royal cadeau de Mm0 de Rothschild avec une ferme poésie.
Tenter, après Charles Levasseur, le contemporain et l’officiel inter-
prète de Greuze, un nouveau cuivre de La Laitière, c’était, pour un
artiste du juste amour-propre de M. Patricot, un aléa de consé-
quence. La facture toute d’esprit de Levasseur péchait, il est vrai,
par de l’inexactitude dans l’air de tète du modèle altéré d’une pointe
d’afféterie citadine; mais, cet écart d’enjoliveur une fois constaté,
comme l’impeccable et léger burin transposait en vive lumière de
franchise et de joie la franche et joyeuse peinture ! Assurément, un
moderne allait se faire davantage scrupule de la vérité de physiono-
mie et peut-être l’atteindre ; mais où serait le progrès s’il bornait
sa réussite à la fidélité matérielle des traits, sans vivifier l’estampe
entière de tout le feu délicat du premier cuivre? Or, comment se
flatter d’ètrc un autre Levasseur et de retrouver son outil perdu ?
M. Patricot, par la nature même de ses traductions de style, sem-
blait le moins orienté vers cette tentative. Ce fut une raison pour
l'y déterminer : un graveur sur de son art et digne de l’honorer est
soucieux de variété, comme il l’est de perfection. Lire et traduire
tous les maîtres, n’importe l'époque ni l’école, est le rôle et l'ambi-
tion d'un buriniste, c’est aussi sa meilleure habileté, car plus il
s’assouplit dans la diversité, plus ses ouvrages gagnent en richesse
de ressources. M. Patricot l’a pensé de môme et s’est donné le régal
studieux d'un Greuze. A voir l’éclat de velours de ce cuivre, la
ressemblance de la figure conquise par un mélange de netteté discrète
et de rêveuse enveloppe, le dessin magique des étoffes, traitées
comme eût fait Rosi in, le cheval et les accessoires si pleins de
ragoût, on ne pourra s’empêcher de saluer en M. Patricot une maî-
trise cette fois complète, puisque, s’essayant à traduire l'intradui-
sible xvme siècle, il y pénètre comme en une terre déjà familièrement
connue.
Décidément, la gravure française refuse de mourir. Trop de gens
et de procédés chimiques ont annoncé sa fin, pour ne pas donner
à la belle imperturbable l’envie malicieuse de les faire mentir.
Et ce vingtième siècle débute avec les plus solides assurances