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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’intérieur, comble de trésors, renferme le même mélange de mer-
veilles et de brocante; il faut traverser un amas de fruits en marbre
sculpté, voir des Cènes aux personnages en bois peinturluré placés
devant des tables servies en vraie vaisselle ; plusieurs tableaux
d’autel relèvent du genre forain. Et, là-dedans, au milieu de ce
pèlerinage, au-dessous d’un plafond peint par Gaudenzio Ferrari,
fourmillant d’anges qui manient tous les instruments de musique,
œuvre inouïe de verve et d’élégance ', c’est la vaste suite de fresques
où Bernardino Luini déploya tout son génie et se montra peut-être
supérieur à toutes ses autres inspirations,, hormis les peintures du
Monastero Maggiore.
Au premier coup d’œil, on découvre que certains bleus sont
d’une énergie surprenante et l’on cherche ensuite, sans la trouver,
cette magie légère de la fresque, ce pollen de l’œuvre donné par les
retouches « al secco ». Ces touches dernières du maître, que l’in-
conscient Vasari proscrivait-, se croyant frescante, elles sont inap-
préciables chez Luini, qui est l’esprit même, et l’audace, et la fan-
taisie. Elles sont absentes, ici, dans plus d’un ouvrage. C’est que,
vers l’an 1842, « les quatre pennacchi3 furent lavés à l’eau de
potasse par un restaurateur barbare, qui enleva toutes les dernières
retouches à sec1 ». Non, je ne me lasserai point de dénoncer les
insensés qui font une telle besogne. Il est trop évident qu’ils ne se
sont pas contentés de lessiver les pendentifs !
Pourtant, que ces fresques sont belles ! Entièrement affranchi des
premières mythologies, c’est au Nouveau Testament que Luini s’at-
tache désormais et sans retour. Il a commencé par le fond, et peint
d’abord, en lo2o, les deux côtés du chœur : à droite, la Présentation
\. S. M. la reine d'Italie a fait commencer une publication qui doit repro-
duire chaque détail de ce plafond, si curieux et pour l'histoire de l’art et pour
l'histoire de la musique. Cette coupole fut peinte par Gaudenzio Ferrari, en 1535;
il convint, avec la fabrique, de deux cents écus d'or, soit 1.130 francs impériaux,
outre le logement et le vin et les autres provisions (contrat passé par devant
Jean-Marie Yisconti, notaire à Saronno, le 28 septembre 1534. Archives de
l'église). Une seule année suffit à l’artiste pour cet immense ouvrage : il y a cent
dix anges grands et petits, qui forment trois chœurs, deux réunis, l'autre isolé.
(Notizie intorno aile opéré di Gaud. Ferrari, par Gaud. Bordiga. Milan, 1821, et
Le opéré del Pittore e Plasticatore Gaud. Ferrari, disegnate ed incise da S. Pianazzi,
dirette descr. da G. Bordiga. Milan, 1835, in-fol., p. 32 et 43.)
2. Yasari, Vite, lntrod. : Délia Pittura, ch. v: « non ritocchino al secco... cosa
vilissima ». (Éd. Milanesi, t. I, p. 182.)
3. Pendentifs.
4. L. Malvezzi. Le glorie dell’ Arte Lombarda. Milan, 1882, p, 197.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’intérieur, comble de trésors, renferme le même mélange de mer-
veilles et de brocante; il faut traverser un amas de fruits en marbre
sculpté, voir des Cènes aux personnages en bois peinturluré placés
devant des tables servies en vraie vaisselle ; plusieurs tableaux
d’autel relèvent du genre forain. Et, là-dedans, au milieu de ce
pèlerinage, au-dessous d’un plafond peint par Gaudenzio Ferrari,
fourmillant d’anges qui manient tous les instruments de musique,
œuvre inouïe de verve et d’élégance ', c’est la vaste suite de fresques
où Bernardino Luini déploya tout son génie et se montra peut-être
supérieur à toutes ses autres inspirations,, hormis les peintures du
Monastero Maggiore.
Au premier coup d’œil, on découvre que certains bleus sont
d’une énergie surprenante et l’on cherche ensuite, sans la trouver,
cette magie légère de la fresque, ce pollen de l’œuvre donné par les
retouches « al secco ». Ces touches dernières du maître, que l’in-
conscient Vasari proscrivait-, se croyant frescante, elles sont inap-
préciables chez Luini, qui est l’esprit même, et l’audace, et la fan-
taisie. Elles sont absentes, ici, dans plus d’un ouvrage. C’est que,
vers l’an 1842, « les quatre pennacchi3 furent lavés à l’eau de
potasse par un restaurateur barbare, qui enleva toutes les dernières
retouches à sec1 ». Non, je ne me lasserai point de dénoncer les
insensés qui font une telle besogne. Il est trop évident qu’ils ne se
sont pas contentés de lessiver les pendentifs !
Pourtant, que ces fresques sont belles ! Entièrement affranchi des
premières mythologies, c’est au Nouveau Testament que Luini s’at-
tache désormais et sans retour. Il a commencé par le fond, et peint
d’abord, en lo2o, les deux côtés du chœur : à droite, la Présentation
\. S. M. la reine d'Italie a fait commencer une publication qui doit repro-
duire chaque détail de ce plafond, si curieux et pour l'histoire de l’art et pour
l'histoire de la musique. Cette coupole fut peinte par Gaudenzio Ferrari, en 1535;
il convint, avec la fabrique, de deux cents écus d'or, soit 1.130 francs impériaux,
outre le logement et le vin et les autres provisions (contrat passé par devant
Jean-Marie Yisconti, notaire à Saronno, le 28 septembre 1534. Archives de
l'église). Une seule année suffit à l’artiste pour cet immense ouvrage : il y a cent
dix anges grands et petits, qui forment trois chœurs, deux réunis, l'autre isolé.
(Notizie intorno aile opéré di Gaud. Ferrari, par Gaud. Bordiga. Milan, 1821, et
Le opéré del Pittore e Plasticatore Gaud. Ferrari, disegnate ed incise da S. Pianazzi,
dirette descr. da G. Bordiga. Milan, 1835, in-fol., p. 32 et 43.)
2. Yasari, Vite, lntrod. : Délia Pittura, ch. v: « non ritocchino al secco... cosa
vilissima ». (Éd. Milanesi, t. I, p. 182.)
3. Pendentifs.
4. L. Malvezzi. Le glorie dell’ Arte Lombarda. Milan, 1882, p, 197.