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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
aucune particularité notable : si l’on excepte ses deux mariages, la mort à la
fleur de l’âge d’un fils, né de la première de ses deux unions également heu-
reuses, ses séjours successifs à Passy, à la barrière de la Chapelle, à Belleville —
c’est dire que, pour ses contemporains, Debucourt passa une partie de sa vie à
la campagne, — son temps se partagea entre un travail constant et de joyeuses
parties dans les restaurants de Paris et les guinguettes des environs.
L’œuvre est, au contraire, très considérable, très varié, et tout n’y est pas,
tant s’en faut, d’égale valeur.
Ce sont les gravures de Debucourt ou d’après lui qui ont répandu jadis
son nom un peu partout, et jusqu’au bout de l'Espagne : Eugène Delacroix,
débarquant, en 1832, à Cadix, au retour du Maroc, n’avait-il pas remarqué au
mur de sa chambre deux estampes du petit maître, et l’une d’elles, Les Visites,
«publiée le premier jour du xixc siècle», ne lui rappelait-elle pas, non sans
mélancolie, qu’il était déjà au monde à cette époque-là '? C’est cependant comme
peintre que Debucourt avait débuté, et ses premiers essais avaient rencontré
auprès de l’Académie royale et du public un accueil des plus encourageants.
Les quelques tableaux ou esquisses que l’on connaît de lui actuellement
justifient cette faveur : Les Préparatifs de la Fédération, acquis récemment à la
vente Decloux pour le musée Carnavalet, le joli petit tableau inspiré par le
même sujet appartenant à M. Auguste Raffet2, La Fête du Village, que les Gon
court définissaient « une petite perle », ne nous consolent pas de la disparition
de tant d'autres peintures, mentionnées aux livrets des Salons ou dans divers
catalogues et manquant aujourd’hui à l’appel.Tôt ou tard réapparaîtront, rendus à
leur véritable auteur, des panneaux qui, par leur sujet autant que par leur
exécution, ne sauraient passer inaperçus, tels que La Vue de la Halle lors des
réjouissances en l'honneur de la naissance du Dauphin (1782), ou Le Départ des
Suisses en 1793 (adjugé 35 francs (!) en 1846, à la vente Brunet-Denon), ou encore
ses Fêtes champêtres, ces scènes galantes dont M. Fenaille a patiemment colligé
les mentions à travers les catalogues de ventes du siècle.
Quel que soit son mérite comme peintre, Debucourt est et restera avant tout
l’auteur de la Promenade publique en 1792, son chef-d’œuvre et le chef-d’œuvre de
la gravure en couleurs, et de cinq ou six autres planches : La Noce de Village et Le
Menuet de la Mariée ; Le Calendrier pour 1791, l'an 111 clc la Liberté ; Le Portrait
du jeune Jean-Baptiste Debucourt jouant avec son chat, dont la Gazette met sous
les yeux de ses lecteurs une reproduction excellente ; etc. Sa veine d’inspiration
personnelle s’est d’ailleurs épuisée assez vite et il a été de bonne heure plus
volontiers interprète que créateur. Carie Vernet lui a dû un surcroît de popu-
larité et il l’a reconnu dans une lettre que donne M. Fenaille et qui lui fait
grand honneur. Le Cheval effrayé par la foudre, qui jadis a orné tant d'appar-
tements bourgeois, est en effet une très belle pièce et doit faire pardonner à
Debucourt d’avoir trop souvent, par nécessité probablement plus que par goût,
consenti à être le collaborateur de Damame-Demartrai, de Lordon, de Le Camus
et de diverses autres médiocrités du même acabit.
1. Journal d'Eugène Delacroix, publié par MM. Paul Fiat et René Piot. E. Plon et
Ci0, 1893-1894, t. I, 186.
2. M. Fenaille ne cite point l’héliogravure qu’en ont donnée MM. Boussod, Valadon et
C" dans Les Lettres et les Arts du 1er juillet 1887.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
aucune particularité notable : si l’on excepte ses deux mariages, la mort à la
fleur de l’âge d’un fils, né de la première de ses deux unions également heu-
reuses, ses séjours successifs à Passy, à la barrière de la Chapelle, à Belleville —
c’est dire que, pour ses contemporains, Debucourt passa une partie de sa vie à
la campagne, — son temps se partagea entre un travail constant et de joyeuses
parties dans les restaurants de Paris et les guinguettes des environs.
L’œuvre est, au contraire, très considérable, très varié, et tout n’y est pas,
tant s’en faut, d’égale valeur.
Ce sont les gravures de Debucourt ou d’après lui qui ont répandu jadis
son nom un peu partout, et jusqu’au bout de l'Espagne : Eugène Delacroix,
débarquant, en 1832, à Cadix, au retour du Maroc, n’avait-il pas remarqué au
mur de sa chambre deux estampes du petit maître, et l’une d’elles, Les Visites,
«publiée le premier jour du xixc siècle», ne lui rappelait-elle pas, non sans
mélancolie, qu’il était déjà au monde à cette époque-là '? C’est cependant comme
peintre que Debucourt avait débuté, et ses premiers essais avaient rencontré
auprès de l’Académie royale et du public un accueil des plus encourageants.
Les quelques tableaux ou esquisses que l’on connaît de lui actuellement
justifient cette faveur : Les Préparatifs de la Fédération, acquis récemment à la
vente Decloux pour le musée Carnavalet, le joli petit tableau inspiré par le
même sujet appartenant à M. Auguste Raffet2, La Fête du Village, que les Gon
court définissaient « une petite perle », ne nous consolent pas de la disparition
de tant d'autres peintures, mentionnées aux livrets des Salons ou dans divers
catalogues et manquant aujourd’hui à l’appel.Tôt ou tard réapparaîtront, rendus à
leur véritable auteur, des panneaux qui, par leur sujet autant que par leur
exécution, ne sauraient passer inaperçus, tels que La Vue de la Halle lors des
réjouissances en l'honneur de la naissance du Dauphin (1782), ou Le Départ des
Suisses en 1793 (adjugé 35 francs (!) en 1846, à la vente Brunet-Denon), ou encore
ses Fêtes champêtres, ces scènes galantes dont M. Fenaille a patiemment colligé
les mentions à travers les catalogues de ventes du siècle.
Quel que soit son mérite comme peintre, Debucourt est et restera avant tout
l’auteur de la Promenade publique en 1792, son chef-d’œuvre et le chef-d’œuvre de
la gravure en couleurs, et de cinq ou six autres planches : La Noce de Village et Le
Menuet de la Mariée ; Le Calendrier pour 1791, l'an 111 clc la Liberté ; Le Portrait
du jeune Jean-Baptiste Debucourt jouant avec son chat, dont la Gazette met sous
les yeux de ses lecteurs une reproduction excellente ; etc. Sa veine d’inspiration
personnelle s’est d’ailleurs épuisée assez vite et il a été de bonne heure plus
volontiers interprète que créateur. Carie Vernet lui a dû un surcroît de popu-
larité et il l’a reconnu dans une lettre que donne M. Fenaille et qui lui fait
grand honneur. Le Cheval effrayé par la foudre, qui jadis a orné tant d'appar-
tements bourgeois, est en effet une très belle pièce et doit faire pardonner à
Debucourt d’avoir trop souvent, par nécessité probablement plus que par goût,
consenti à être le collaborateur de Damame-Demartrai, de Lordon, de Le Camus
et de diverses autres médiocrités du même acabit.
1. Journal d'Eugène Delacroix, publié par MM. Paul Fiat et René Piot. E. Plon et
Ci0, 1893-1894, t. I, 186.
2. M. Fenaille ne cite point l’héliogravure qu’en ont donnée MM. Boussod, Valadon et
C" dans Les Lettres et les Arts du 1er juillet 1887.