236
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
César présentent de telles différences qu’il est presque impossible d’en réconcilier
les témoignages. Cette admirable tête de Munich, qui respire l’énergie et lavolonté,
où se reflète un passé de dangers vaincus, d’épreuves surmontées, est comme
une évocation de l’àpre génie romain dont la puissance a marqué le monde d’une
empreinte indélébile. De pareils hommes étaient nés pour lutter et pour dominer,
pour exercer une autorité inflexible, que leur intelligence, affinée au contact de
la philosophie grecque, rendait presque toujours bienfaisante. Il n’y a pas moins
de force, avec quelque chose de plus agité, de plus nerveux, dans la seconde tête,
plantée sur un cou d’une longueur inusitée et d’une maigreur dont l’art antique
n’offre guère d’exemples. L’ensemble de la physionomie rappelle un des types
des portraits de César, mais l’artiste n’a certainement pas voulu représenter
le dictateur : c’est sans doute un de ses contemporains. M. Arndt, qui a publié
ce beau marbre, a fait justement observer qu’on avait tout d’abord, en le regar-
dant, l’impression d’une oeuvre de la Renaissance ; il ajoute d'ailleurs, avec non
moins de raison, que cette impression n’est pas confirmée par un examen plus
attentif. On peut signaler de pareilles sculptures à ceux qui parlent de la froi-
deur de l’art romain et professent un dédain sommaire pour toute œuvre d’art
postérieure à la ruine de Corinthe. C’est là, du reste, une mode qui commence à
passer. Le travail de M. Schreiber sur la toreutique alexandrine et les bas-reliefs
du palais Grimani avait déjà fait réfléchir les admirateurs exclusifs de l’hellénisme
classique ; puis, M. Wickhoff, avec sa Genèse de Vienne, remit en honneur l’art
de l’époque d’Auguste, en fit valoir non seulement la perfection technique, mais
l'originalité ; enfin la publication, par MM. Helbig et Arndt, de nombreux por-
traits romains, la réédition des bas-reliefs de la colonne Trajane par M. Cicho-
rius, ont achevé, ou peu s’en faut, de dissiper un préjugé fâcheux. Un peu plus,
on versera dans l’excès opposé: on parlera des sculptures de l’arc de Bénévent
avec le même respect que de celles du Parthénon. Nous saurons nous en garder,
mais nous reconnaîtrons, une fois de plus, que la science est sûre de se tromper
lorsqu’elle admet la stagnation de l’art, la répétition monotone, pendant des
siècles, de modèles créés par le génie grec. Il peut y avoir recul, mais non sta-
gnation. L’art césarien, l’art augustéen, l’art trajanien même, ont innové ; consi-
dérés de près, ils sont originaux même en imitant, même quand ils attestent la
décadence du goût par leur impuissance à s’en tenir simplement aux bons modèles.
Préciser les qualités des portraits romains, mettre en lumière les beautés et les
défauts des bas-reliefs de la même époque, l’influence exercée par l’art de la
Grèce propre d’une part, par celui de l’Asie-Mineure et de l’Egypte de l’autre,
telle est la tâche difficile, autant que séduisante, qui attend les historiens de l’art
antique au siècle prochain. L’ensemble de la question esta traiter encore, mais il
y a déjà de bons travaux qui en facilitent l’accès L
IV
Le nom de Tanagra est devenu si célèbre que l’on s’en sert couramment,
comme d’un substantif, pour désigner, non pas seulement une figurine de cette
t. On lira avec fruit le récent ouvrage de M.E. Courbaud : Les bas-reliefs romains à
représentations historiques (Paris, Thorin, 1899) et le long compte-rendu qu’en a donné
M. G. Perrot dans le Journal des Savants de la même année.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
César présentent de telles différences qu’il est presque impossible d’en réconcilier
les témoignages. Cette admirable tête de Munich, qui respire l’énergie et lavolonté,
où se reflète un passé de dangers vaincus, d’épreuves surmontées, est comme
une évocation de l’àpre génie romain dont la puissance a marqué le monde d’une
empreinte indélébile. De pareils hommes étaient nés pour lutter et pour dominer,
pour exercer une autorité inflexible, que leur intelligence, affinée au contact de
la philosophie grecque, rendait presque toujours bienfaisante. Il n’y a pas moins
de force, avec quelque chose de plus agité, de plus nerveux, dans la seconde tête,
plantée sur un cou d’une longueur inusitée et d’une maigreur dont l’art antique
n’offre guère d’exemples. L’ensemble de la physionomie rappelle un des types
des portraits de César, mais l’artiste n’a certainement pas voulu représenter
le dictateur : c’est sans doute un de ses contemporains. M. Arndt, qui a publié
ce beau marbre, a fait justement observer qu’on avait tout d’abord, en le regar-
dant, l’impression d’une oeuvre de la Renaissance ; il ajoute d'ailleurs, avec non
moins de raison, que cette impression n’est pas confirmée par un examen plus
attentif. On peut signaler de pareilles sculptures à ceux qui parlent de la froi-
deur de l’art romain et professent un dédain sommaire pour toute œuvre d’art
postérieure à la ruine de Corinthe. C’est là, du reste, une mode qui commence à
passer. Le travail de M. Schreiber sur la toreutique alexandrine et les bas-reliefs
du palais Grimani avait déjà fait réfléchir les admirateurs exclusifs de l’hellénisme
classique ; puis, M. Wickhoff, avec sa Genèse de Vienne, remit en honneur l’art
de l’époque d’Auguste, en fit valoir non seulement la perfection technique, mais
l'originalité ; enfin la publication, par MM. Helbig et Arndt, de nombreux por-
traits romains, la réédition des bas-reliefs de la colonne Trajane par M. Cicho-
rius, ont achevé, ou peu s’en faut, de dissiper un préjugé fâcheux. Un peu plus,
on versera dans l’excès opposé: on parlera des sculptures de l’arc de Bénévent
avec le même respect que de celles du Parthénon. Nous saurons nous en garder,
mais nous reconnaîtrons, une fois de plus, que la science est sûre de se tromper
lorsqu’elle admet la stagnation de l’art, la répétition monotone, pendant des
siècles, de modèles créés par le génie grec. Il peut y avoir recul, mais non sta-
gnation. L’art césarien, l’art augustéen, l’art trajanien même, ont innové ; consi-
dérés de près, ils sont originaux même en imitant, même quand ils attestent la
décadence du goût par leur impuissance à s’en tenir simplement aux bons modèles.
Préciser les qualités des portraits romains, mettre en lumière les beautés et les
défauts des bas-reliefs de la même époque, l’influence exercée par l’art de la
Grèce propre d’une part, par celui de l’Asie-Mineure et de l’Egypte de l’autre,
telle est la tâche difficile, autant que séduisante, qui attend les historiens de l’art
antique au siècle prochain. L’ensemble de la question esta traiter encore, mais il
y a déjà de bons travaux qui en facilitent l’accès L
IV
Le nom de Tanagra est devenu si célèbre que l’on s’en sert couramment,
comme d’un substantif, pour désigner, non pas seulement une figurine de cette
t. On lira avec fruit le récent ouvrage de M.E. Courbaud : Les bas-reliefs romains à
représentations historiques (Paris, Thorin, 1899) et le long compte-rendu qu’en a donné
M. G. Perrot dans le Journal des Savants de la même année.