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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 1)

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Michel, André: Le Salon de 1884, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0212

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i82 L'ART.

stériles redites par l'espoir d'une médaille ou d'une commande de l'Etat et aussi par les suffrages
de quelques éminents critiques dévoués à la défense de la « Tradition » et de « l'Idéal ». Il en
est même qui en sont venus à invoquer au secours de la Sacro-Sainte Tradition menacée, non
seulement les Dieux immortels et les Grâces décentes, mais encore l'intervention du Ministre des
Beaux-Arts, presque de la gendarmerie. Cet appel au bras séculier révèle un peu de férocité
et beaucoup de candeur. Il n'est au pouvoir de personne, pas même d'un ministre, — ce ministre
fût-il M. de Cumont, ■— de rendre la vie aux morts et la fécondité aux arbres desséchés. Nous
avons vu, hélas! l'administration s'ériger chez nous en gardienne d'un dogme artistique, en
protectrice de l'Idéal. Ce déplorable système a porté ses fruits; il a sa part de responsabilité
dans le triomphe de la médiocrité, dans l'impuissance attristante contre lesquels on voudrait
aujourd'hui le remettre en vigueur.

Il faudrait être « ignorant comme un maître d'école » pour espérer, à la fin du xixe siècle,
au sein d'une société démocratique et en voie de transformation radicale, la floraison d'un art
comparable à celui des époques classiques de Grèce ou d'Italie. Nos artistes seront de moins en
moins des artisans de plaisir et de beauté, au sens où l'école classique entend ce mot. C'est un
idéal plus complexe et plus troublé qui se dégagera des coeurs et des cerveaux modernes. La crise
est redoutable et l'avenir incertain, mais le passé est bien mort et ceux qui l'admirent le plus et
le comprennent le mieux sont les derniers à attendre et, par suite, à conseiller une impossible
résurrection.

S'il était vrai que l'art n'a pas d'autre but qu'un éternel recommencement, que ses œuvres
seront bonnes ou mauvaises selon qu'elles se rapprocheront plus ou moins d'un idéal une fois
révélé, nous n'aurions plus qu'à chanter de profundis et le critique serait désormais un simple
fossoyeur. Voyez les Danaé, les Angélique, les Andromède, les Nymphes sentimentales, les
Sources, et toutes les poupées en carton peint dont l'attristant cortège vient encore une fois, sous
prétexte de grand art, défiler sous nos yeux ; y a-t-il dans cette figuration insipide, banale et
fausse, à peine digne d'un Olympe à'Eden-Théàtre, trace de Beauté ou de Vie ? Depuis les
grands créateurs du temps de la Renaissance, qui donc a retrouvé l'étincelle sacrée ? Ne nous
sommes-nous pas assez attardés à cette culture factice de boutures classiques, à cette vaine
gageure d'imposer à une société nouvelle une forme d'art épuisée? Il n'est pas de plus stérile,
de plus dangereuse contradiction.

Est-ce à dire qu'il faille interdire à l'artiste moderne l'accès des légendes et des mythes
consacrés? Nul n'y songe, à la condition toutefois qu'il y sera sollicité par une sympathie spon-
tanée qui le rendra capable d'infuser à ces formes d'un autre âge quelque chose de sa pensée,
de son idéal et de son rêve. Mais tant qu'on ne nous offrira que des travaux d'élèves à cheveux
blancs, sans âme, sans sincérité, sans vie, — tant que nous surprendrons dans l'interprétation de
ces thèmes antiques, au lieu de la volupté heureuse et créatrice des maîtres, les efforts impuis-
sants, les rabâchages épuisés, la lassitude essoufflée de pauvres copieurs de pensums ou encore
l'irritante habileté, le tour de main machinal de simples fabricants de gaufres, nous crierons
par-dessus les toits que là n'est pas le salut pour notre école malade et nous chercherons
ailleurs cet idéal, qui n'est rien s'il n'est pas l'expression originale et sincère d'une pensée
pittoresque, d'une émotion ou d'une idée personnelle.

C'est parce que nous le trouvons à un haut degré clans les œuvres de M. Puvis de Chavannes,
que nous avons toujours soutenu de notre faible voix, dans les discussions violentes soulevées
autour de lui, cet artiste, auquel ses adversaires ne sauraient refuser la conviction et la fierté.
Je sais que, sur ce point, je suis en désaccord avec d'excellents juges, dont l'opinion a été, ici
même, exprimée avec autorité. On me permettra d'exposer en toute sincérité l'opinion contraire.

Il me semble qu'un principe essentiel, en saine critique, c'est d'entrer autant que possible
dans la pensée d'un artiste, dé lui faire crédit si je puis ainsi dire, de lui sacrifier ses préférences
personnelles, jusqu'à ce du moins qu'on ait pu pénétrer dans l'idéal particulier qui explique et
justifie peut-être ses partis pris les plus choquants d'abord. On est d'autant mieux fondé ensuite
à faire ses réserves qu'on s'est montré capable de plus de sympathie critique. Les bons juges si
 
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