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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 15.1889 (Teil 2)

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Champfleury: Le peintre ordinaire de Gaspard Deburau
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L’ART.

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des peintres et de l’Artiste. Le sous-titre de ces planches
indique que les tableaux de Pierrot appartenaient l’un à
Étienne Arago,. l’autre à Jules Janin ; ces écrivains, fort
répandus dans le monde du théâtre, faisaient un réel hon-
neur à Auguste Bouquet en accrochant ses peintures aux
murs de leur cabinet. Le jeune artiste se trouvait tout à
coup ainsi en compagnie d’Eugène Delacroix, de Barye,
de Paul Huet, de Roqueplan, de Préault, de Cabat, des
Devéria et de toute la bande d’insurgés dont les jurys de
peinture repoussaient systématiquement les œuvres. Au-
guste Bouquet prit donc racine dans ce cénacle composé
de peintres et de sculpteurs dont la plupart devait arriver
à la plus haute réputation.

Il faut dire un mot du Paris d’il y a cinquante ans:
C’était un petit Paris dont les zones artistiques et littéraires
étaient limitées et fort rapprochées les unes des autres ;
autour de ces zones se pressait un public d’accord avec les
insurgés, qui faisait pour ainsi dire corps avec eux, et
dont l’opinion se répandait non seulement en France mais
■en Europe, public très attentif et qui rendait ses arrêts
dans quelques salons. Ce mouvement ne ressemblait en
rien au tohu-bohu actuel qui fait de Paris un endroit tout
à fait cosmopolite, au centre duquel il faut crier fort si
on veut être entendu.

Les deux petits volumes de Jules Janin, qui courraient
grand risque aujourd’hui de n’être lus que par quelques
délicats, faisaient alors leur trouée dans le monde insur-
rectionnel dont je parlais plus haut, complices qui ap-
plaudissaient aux coups portés à la vieille comédie et à
ses interprètes académiques.

L’art, à cette époque, était étudié de près par des esprits
très militants, parmi lesquels il faut citer particulièrement
Victor Schœlcher, Félix Pyat et Théophile Thoré : ces
trois critiques, rédacteurs de VArtiste et de la Revue de
Paris, s’occupaient exclusivement de questions d’art ; s’ils
n’avaient pas encore donné de gages aux conspirateurs
politiques, il est permis d’affirmer que leurs sentiments
latents étaient ceux de révolutionnaires ardents et que
leurs paroles devaient être empreintes d’un feu de révolte.

Parallèlement au journal l’Artiste, qui était comme la
citadelle des jeunes maîtres très en avant, il faut citer le
journal la Caricature, où s’étaient groupés, sous la direc-
tion de Philipon, des écrivains fort hostiles au gouverne-
ment constitutionnel; mais ceux des combattants, dont les
coups hardis portaient profondément, étaient certaine-
ment les peintres et les dessinateurs enrôlés sous la ban-
nière de l’enragé directeur satirique. Auguste Bouquet fut
de ceux-là. On peut presque avancer qu’il fut présenté à
Philipon par Decamps, qui avait contracté vis-à-vis de
lui certaines obligations dont on trouvera trace plus bas.

Auguste Bouquet avait débuté dans là vie par quelques
portraits lithographiés et par un certain nombre de cari-
catures ; des portraits de camarades dont la réputation n’a
pas abouti, il y aurait peu à dire, à l’exception toutefois
d’une feuille qui porte réunis les trois bustes de Cavai-
gnac de Guinard et de Trélat. Ces portraits sont très fins,
très étudiés, et la lithographie en est habile ; on suit le fil
conducteur qui, de l’art en rébellion, se rattache aux chefs
des groupes insurrectionnels qui devaient passer sur le
banc des accusés à la cour des pairs. Partout, dans l’œuvre
de Bouquet, cette liaison avec des hommes avancés du
parti démocratique apparaît visible ; on mit donc dans les
mains de Bouquet l’escopette delà caricature, qui a besoin
d’être tenue par des êtres résolus. La cible indiquée était
les Tuileries, et tout coup envoyé à l’hôte qui y résidait
devait faire balle.

Quoique Bouquet me soit sympathique en tant que
peintre ordinaire de Deburau, je ne saurais le reconnaître

comme un des artistes qui se fit remarquer au premier
rang dans cette petite guerre brûlante ; elle était, il est
vrai, représentée dans la même revue par des artistes de
mérite, à la tête desquels se montrent Daumier robuste et
Grandville aigu. Toutes les formes de la satire vengeresse
semblant prises chez Philipon, Auguste Bouquet ne put
guère y jouer qu’un rôle d’escarmouche; son crayon,
quoique en un certain nombre de pièces non politiques il
se montre grave et harmonieux, semble indécis lorsqu’il
s’agit de caricature. Peut-être les sujets étaient-ils mal
choisis; ils sont traités, en tout cas, avec irrésolution,
c’est-à-dire avec des'parties graphiques qui parfois rap-
pellent la main d’un peintre, et aboutissent trop souvent
à des pauvretés d’exécution que ne supporte pas l’art sati-
rique.

Je ne trouve, dans cette série de pièces, à citer que
deux compositions imitées d’Eugène Delacroix et Paul
Delaroche. Du Christ au Mont des Oliviers du premier,
et de la Jane Grey sur l'échafaud du second, Auguste
Bouquet tira deux parodies, non pour attaquer les auteurs
de ces toiles, mais contre Louis-Philippe : ce sont des
allégories contre la royauté qui eussent eu besoin d’être
recouvertes par une plastique plus colorée.

Chose singulière, cette plastique se retrouve puissante
et robuste lorsque le jeune artiste traduit les œuvres de
maîtres tels que Decamps et Préault. Les diverses litho-
graphies de Bouquet d’après Decamps rendent ses œuvres
aussi bien que ce maître inquiet pouvait l'exiger. Les colo-
rations que cherchait Decamps avec tant de soucis, la
silhouette de ses personnages qu’également il poursuivait
si laborieusement, Bouquet les a traduites dans tout leur
effet, et si ces toiles de Decamps ont aujourd’hui à peu
près disparu par l’abus de certains moyens de peinture,
les lithographies de Bouquet nous rendent ces œuvres dans
leur saveur primitive.

Avec Decamps, le sculpteur Préault fut l’artiste que
Bouquet interpréta avec le plus de véritable fougue. Dans
la pièce qui a pour titre : Paria, il semble que le litho-
graphe a dépensé toute sa conviction, toute son énergi e
pour protester contre le jury qui avait refusé l’œuvre du
statuaire au Salon de 1834; c’est que Préault, avec ses
hardiesses de sculpteur, sa liberté d’esprit très aiguisé, la
vitalité de sa personne remuante, était une figure très
sympathique à la jeunesse. Ce diable d’homme était
encore, en i852, excitant et capiteux; quelle fougue
devait-il montrer en i83q, dans sa jeunesse, alors que la
jeunesse fondait sur lui les plus grandes espérances d’ave-
nir ? La lithographie est signée : A son ami Préault,
Auguste Bouquet ; dans cette reproduction, le peintre se
montra à la hauteur du sculpteur tourmenté; de la même
œuvre, Célestin Nanteuil avait fait une lithographie, auprès
de laquelle se tient ferme celle d’Auguste Bouquet, et ce
n’était pas alors un mince mérite que de pouvoir lutter
sans défaillir avec Nanteuil, le plus habile, sans contredit,
des interprètes romantiques.

Bouquet donna encore une lithographie d’après une
terre cuite de Préault, ayant pour titre : Misère ; au pre-
mier aspect, ce groupe semble être le même que le précé-
dent. Préault, avec ses formes pantelantes modelées par
un pouce ultra-romantique, n’avait été doué que d’une
imagination restreinte. Le domaine de la statuaire semblait
ne lui pas offrir un champ aussi développé que celui de
l’ironie ; plutôt sculpteur de mots que de figures, cet
homme d’esprit, dévoyé dans l’art plastique, fournissait à
ses interprètes des formes plus convulsées qu’ébauchées.

Auguste Bouquet se tira toutefois de la reproduction
de Misère avec un crayon bien d’accord avec l’ébauchoir
de son ami. Qui voudra se rendre compte des œuvres
 
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