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L’ART.
ne voulant point le porter devant un maître à qui on ne l'avait point donné ! Cette croix, qu’on
avait oublié de donner à Tassaert, le gouvernement l'avait accrochée sur la poitrine d’Hamon,
un élève de Gleyre et de Delaroche, qui s'était cantonné dans le genre efféminé, gracieux et
maigrement idyllique. Hamon n'avait point connu non plus la misère noire de Tassaert. Après
quelques succès obtenus dans le monde ami du joli, il avait fui Paris et ses ardeurs pour aller
goûter du soleil et s’endormir à Capri, au murmure du flot bleu. Il est mort le 29 mai 1874, à
Saint-Raphaël du Var, et son nom se serait effacé du souvenir, comme ses tableaux ont pâli, si
l'on n’avait revu de lui YIdylle, achetée par l’empereur en 1855, et les Muses pompéiennes, du
Salon de 1866.
Le 3 janvier 1875, fut enlevé Guillaume-Pierre-Urbain Régamey, élève de Bonvin et peintre
militaire, dont l’État a racheté plusieurs œuvres. Le 20 janvier, c’est Millet, qui s’éteignait à
Barbizon, dans ce milieu rustique où il avait trouvé sa voie, et après une lutte pour la vie, dont
on a trop bruyamment exploité, il y a quelques mois, les incidents pour qu’il soit utile de nous
y arrêter en ce moment.
Enfin, le 22 février., était enlevé à l’art le patriarche du paysage (il était né à Paris, le
29 juillet 1796), le plus grand de nos paysagistes, et, cependant, le plus passionnément discuté :
Corot.
On a tellement écrit sur ce maître si personnel et si simple \ on connaît à ce point l’histoire
de cette carrière si merveilleuse de fraîcheur et de jeunesse, que nous nous ferions scrupule
d’insister. Les quarante-quatre toiles exposées au Champ de Mars l’ont d’ailleurs redite dans
leur poésie, sans livrer les secrets de leur naissance. Elles sont sans doute venues au monde un
peu comme par enchantement, entre deux airs sifflottés distraitement par cet amant de la nature
harmonisée, où s’équilibrent et parlent les profondeurs du ciel, les vapeurs des lointains, la
succession des plans, le bruissement des feuillages et le murmure des eaux. L’imagination erre
volontiers dans ces lieux solitaires que ne trouble point la mêlée humaine. Le paganisme, amou-
reux du mystère, y eût promené ses dieux. Dans ces multiples morceaux, qui sont, suivant la
pittoresque expression de Charles Blanc, « l’aurore d'un tableau et le crépuscule d’un autre »,
elle eût discerné tout de suite le souffle de la muse.
(A suivre.) A. H USTIN.
1. Voir, entre autres e'tudes, celle de Jean Rousseau, avec appendice d’Alfred Robaut, publiée par la Librairie de l'Art.
L’ART.
ne voulant point le porter devant un maître à qui on ne l'avait point donné ! Cette croix, qu’on
avait oublié de donner à Tassaert, le gouvernement l'avait accrochée sur la poitrine d’Hamon,
un élève de Gleyre et de Delaroche, qui s'était cantonné dans le genre efféminé, gracieux et
maigrement idyllique. Hamon n'avait point connu non plus la misère noire de Tassaert. Après
quelques succès obtenus dans le monde ami du joli, il avait fui Paris et ses ardeurs pour aller
goûter du soleil et s’endormir à Capri, au murmure du flot bleu. Il est mort le 29 mai 1874, à
Saint-Raphaël du Var, et son nom se serait effacé du souvenir, comme ses tableaux ont pâli, si
l'on n’avait revu de lui YIdylle, achetée par l’empereur en 1855, et les Muses pompéiennes, du
Salon de 1866.
Le 3 janvier 1875, fut enlevé Guillaume-Pierre-Urbain Régamey, élève de Bonvin et peintre
militaire, dont l’État a racheté plusieurs œuvres. Le 20 janvier, c’est Millet, qui s’éteignait à
Barbizon, dans ce milieu rustique où il avait trouvé sa voie, et après une lutte pour la vie, dont
on a trop bruyamment exploité, il y a quelques mois, les incidents pour qu’il soit utile de nous
y arrêter en ce moment.
Enfin, le 22 février., était enlevé à l’art le patriarche du paysage (il était né à Paris, le
29 juillet 1796), le plus grand de nos paysagistes, et, cependant, le plus passionnément discuté :
Corot.
On a tellement écrit sur ce maître si personnel et si simple \ on connaît à ce point l’histoire
de cette carrière si merveilleuse de fraîcheur et de jeunesse, que nous nous ferions scrupule
d’insister. Les quarante-quatre toiles exposées au Champ de Mars l’ont d’ailleurs redite dans
leur poésie, sans livrer les secrets de leur naissance. Elles sont sans doute venues au monde un
peu comme par enchantement, entre deux airs sifflottés distraitement par cet amant de la nature
harmonisée, où s’équilibrent et parlent les profondeurs du ciel, les vapeurs des lointains, la
succession des plans, le bruissement des feuillages et le murmure des eaux. L’imagination erre
volontiers dans ces lieux solitaires que ne trouble point la mêlée humaine. Le paganisme, amou-
reux du mystère, y eût promené ses dieux. Dans ces multiples morceaux, qui sont, suivant la
pittoresque expression de Charles Blanc, « l’aurore d'un tableau et le crépuscule d’un autre »,
elle eût discerné tout de suite le souffle de la muse.
(A suivre.) A. H USTIN.
1. Voir, entre autres e'tudes, celle de Jean Rousseau, avec appendice d’Alfred Robaut, publiée par la Librairie de l'Art.