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L’ART.
absent. Nous avons perdu le secret de nos pères, qui pro-
duisaient des chefs-d’œuvre de goût à bon marché.
Le jour où l’on fera, au point de vue de l’art, le procès
de notre siècle, on lui rendra certainement cette justice
d’avoir ramené dans tout ce qui touche aux côtés extérieurs
de la religion un peu du sens artistique qui, à ce point
de vue, a si complètement fait défaut à nos prédécesseurs
immédiats. Pour ma part, je trouve que seul l’art du
Moyen-Age s’est identifié complètement avec le christia-
nisme, et que lui vouloir donner une autre enveloppe
artistique est un non-sens. Enserrer étroitement dans des
formules empruntées à l’antiquité des usages qui s’étaient
■créé peu à peu tout un ensemble d’architecture, de mobi-
lier, de décoration en rapport avec ces mêmes usages, me
paraît quelque chose d’analogue à la recherche du mou-
vement perpétuel ou de la quadrature du cercle. En un
mot, je trouve absolument légitime le retour aux erre-
ments de l’art roman ou de l’art gothique en ce qui
concerne la construction et la décoration des églises. Ce
point de vue me paraît juste, non pas tant parce que le
Moyen-Age a créé des chefs-d’œuvre, que parce que ces
chefs-d’œuvre ont été élevés à l’époque du plus large épa-
nouissement de la religion chrétienne et qu’il nous est fort
difficile de penser aux uns sans évoquer le souvenir de
l’autre.
Un pareil système n’est pas sans doute sans défaut ;
Reliquaire
exécuté par M. Wilmotte, de Liège. (Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de J. Hugard.
car, en somme, ni les architectes romans, ni les architectes
gothiqùes ne nous ont laissé beaucoup de choses à trou-
ver, à inventer dans le domaine de leur art ; il s’ensuit
que le style roman et le style gothique pratiqués par les
hommes du xixe siècle ne sont que des arts d’imitation et
que ces manifestations de l’art n’étant pas soumises à des
règles aussi strictes et aussi invariables que l’art classique,
on est souvent très embarrassé pour donner à tel problème
la solution qu’aurait vraisemblablement fournie un artiste
du Moyen-Age. Heureusement que nous possédons des
hommes qui ont su, autant que faire se peut, pénétrer
tous les secrets de cet art difficile, en sorte qu’une évolu-
tion qui a commencé par l’art gothique appliqué aux pen-
dules de la Restauration a fini par nous donner un art du
Moyen-Age pratiqué par des modernes et avec toutes les
ressources modernes et qui, en somme, n’a pas trop mau-
vaise tournure. Telle église gothique construite de notre
temps eût-elle été entièrement approuvée par un architecte
français du xme siècle ? On peut émettre quelques doutes
à cet égard, mais il faut bien avouer que nos yeux ne sont
pas assez affinés pour voir tous les défauts de l’œuvre, les
erreurs de style et les gaucheries d’exécution. Somme
toute, et ce n’est pas faire de nous un éloge bien extraor-
dinaire, si l’originalité nous fait trop souvent défaut, nous
sommes des pasticheurs fort acceptables.
L’une des premières choses que, dans ce retour général
à l’ancien style, on a songé à modifier a été le mobilier des
églises. Le jour où les châsses et les orfèvreries du Moyen-
Age ont repris une valeur supérieure à celle du métal, on
s’est mis à refaire tant bien que mal un mobilier imité de
L’ART.
absent. Nous avons perdu le secret de nos pères, qui pro-
duisaient des chefs-d’œuvre de goût à bon marché.
Le jour où l’on fera, au point de vue de l’art, le procès
de notre siècle, on lui rendra certainement cette justice
d’avoir ramené dans tout ce qui touche aux côtés extérieurs
de la religion un peu du sens artistique qui, à ce point
de vue, a si complètement fait défaut à nos prédécesseurs
immédiats. Pour ma part, je trouve que seul l’art du
Moyen-Age s’est identifié complètement avec le christia-
nisme, et que lui vouloir donner une autre enveloppe
artistique est un non-sens. Enserrer étroitement dans des
formules empruntées à l’antiquité des usages qui s’étaient
■créé peu à peu tout un ensemble d’architecture, de mobi-
lier, de décoration en rapport avec ces mêmes usages, me
paraît quelque chose d’analogue à la recherche du mou-
vement perpétuel ou de la quadrature du cercle. En un
mot, je trouve absolument légitime le retour aux erre-
ments de l’art roman ou de l’art gothique en ce qui
concerne la construction et la décoration des églises. Ce
point de vue me paraît juste, non pas tant parce que le
Moyen-Age a créé des chefs-d’œuvre, que parce que ces
chefs-d’œuvre ont été élevés à l’époque du plus large épa-
nouissement de la religion chrétienne et qu’il nous est fort
difficile de penser aux uns sans évoquer le souvenir de
l’autre.
Un pareil système n’est pas sans doute sans défaut ;
Reliquaire
exécuté par M. Wilmotte, de Liège. (Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de J. Hugard.
car, en somme, ni les architectes romans, ni les architectes
gothiqùes ne nous ont laissé beaucoup de choses à trou-
ver, à inventer dans le domaine de leur art ; il s’ensuit
que le style roman et le style gothique pratiqués par les
hommes du xixe siècle ne sont que des arts d’imitation et
que ces manifestations de l’art n’étant pas soumises à des
règles aussi strictes et aussi invariables que l’art classique,
on est souvent très embarrassé pour donner à tel problème
la solution qu’aurait vraisemblablement fournie un artiste
du Moyen-Age. Heureusement que nous possédons des
hommes qui ont su, autant que faire se peut, pénétrer
tous les secrets de cet art difficile, en sorte qu’une évolu-
tion qui a commencé par l’art gothique appliqué aux pen-
dules de la Restauration a fini par nous donner un art du
Moyen-Age pratiqué par des modernes et avec toutes les
ressources modernes et qui, en somme, n’a pas trop mau-
vaise tournure. Telle église gothique construite de notre
temps eût-elle été entièrement approuvée par un architecte
français du xme siècle ? On peut émettre quelques doutes
à cet égard, mais il faut bien avouer que nos yeux ne sont
pas assez affinés pour voir tous les défauts de l’œuvre, les
erreurs de style et les gaucheries d’exécution. Somme
toute, et ce n’est pas faire de nous un éloge bien extraor-
dinaire, si l’originalité nous fait trop souvent défaut, nous
sommes des pasticheurs fort acceptables.
L’une des premières choses que, dans ce retour général
à l’ancien style, on a songé à modifier a été le mobilier des
églises. Le jour où les châsses et les orfèvreries du Moyen-
Age ont repris une valeur supérieure à celle du métal, on
s’est mis à refaire tant bien que mal un mobilier imité de