L’ART DES ACHEMENIDES.
sont le manganèse, le jaune, le blanc, le pourpre, et pour
les fonds le bleu1. Cette frise est en somme un beau spé-
cimen de l’art des Achéménides.
La frise des lions lui est inférieure. Nous en avons
déjà donné la raison. Elle appartenait au palais d’Arta-
xerxès-Mnémon, et l’art était déjà en décadence sous le
règne de ce prince. Il s’en faut de beaucoup que ces lions
aient la meme valeur que ceux de l’école sargonide, notam-
ment de ceux qu’on voit dans les bas-reliefs d’Assourba-
nibal. Ces derniers ont été évidemment étudiés sur nature.
Ceux de Suse reproduisent vraisemblablement un type
conventionnel, admis depuis longtemps, et ne serrant plus
la nature d’aussi près. Ces lions sont gras et ronds comme
des chats domestiques. Le dessin du corps et surtout celui
de la tête sont peu exacts.
Le mouvement général est vrai cependant. L’animal
marche avec calme; la bouche largement ouverte laisse
apparaître la langue et les dents; les pattes ont de la sou-
plesse. La coloration est quelque peu fantastique : la robe
est blanche, la crinière verte, les poils de la moustache
bleus et jaunes ; le ventre orné de poils bleus. Les tendons,
les articulations des pattes, les griffes sont jaunes, bleus
ou verts. Cette émaillure n’est plus supportée par des
briques, comme au temps de Darius ; ce sont des parallé-
lipipèdes de béton aggloméré, dont la pâte plus poreuse
retenait mieux l’émail.
Cette frise, comme celle des archers, est encadrée par
un ornement courant composé de fleurons dérivés de la
palmette assyrienne ; au-dessus sont des marguerites,
comme dans les frises assyriennes, et enfin un crénelage
aussi de forme assyrienne. Les merlons qui forment ce
crénelage, ayant leurs faces supérieures et latérales émail-
lées, se détachaient sur le ciel; ils formaient donc la partie
supérieure d’une façade isolée ; c’était celle du pylône
placé en avant de l’Apadâna.
Dans la frise des archers, la bordure est la même;
seulement les merlons ne sont plus ajourés; ils se déta-
chent seulement sur un fond blanc; c’est ce qui fait croire
à M. Dieulafoy que les archers, tout en décorant la façade
extérieure de l’Apadâna, n’étaient cependant pas à l’air
libre; ils devaient être garantis par une colonnade2.
La force et la majesté du taureau, les services que ren-
dait le bœuf à l’agriculture paraissent avoir vivement
impressionné les premiers peuples de l’Orient. Dans la
Mésopotamie, le taureau androcéphale, gardien des portes,
était le génie tutélaire des temples et des palais; le bœuf
Apis était regardé en Égypte comme l’image du dieu
Ptah.
Il ne semble pas cependant qu’en Perse, l’un ou
l’autre, du moins à l’origine, aient joué un rôle dans le
1. Les deux fragments de cette frise, qui sont au Louvre, ne sont
pas aussi complets ni aussi bien conservés l’un que l’autre. Celui des
archers qui vont à la rencontre les uns des autres a dû subir de
nombreuses restaurations.
Il ne nous a pas semblé que, dans les briques non restaurées,
le blanc dont nous parlons fût un blanc parfait; c’est plutôt un gris
rose. C’est la même chose dans la frise des lions. La question des
origines de l’émail blanc n’est donc pas encore résolue ici.
2. Si les faits racontés dans le livre d’Esther sont vrais, ils
ont eu pour théâtre cet ancien palais de Darius. Dans la pensée de
l’auteur de ce livre, Assuérus, en effet, ne serait autre que Xerxès.
Le chapiteau bicéphale du Louvre aurait donc été témoin de l’éva-
nouissement d’Esther, et Mardochée, « assis le plus souvent aux
portes du palais », a pu contempler bien des fois la frise des archers.
On sait que beaucoup d’artistes ont reproduit la scène d’Esther
devant Assuérus, notamment Poussin et Antoine Coypel, mais avec
des personnages et dans un milieu de fantaisie. Ce serait peut-être,
pour un de nos artistes, une chose à tenter que de refaire le
même tableau, en lui donnant la couleur locale que les données
archéologiques actuelles permettent de lui restituer.
25 I
symbolisme religieux. D’ailleurs le bœuf ne s’est guère
acclimaté et n’a jamais prospéré sur le plateau de l’Iran.
Il faut donc les considérer comme d’importation étrangère
dans la décoration des édifices achéménides.
La révolution qui causa la mort du faux Smerdis et
amena l’avènement de Darius, fils d’Hystaspe, dirigée
comme on le sait contre les mages de Médie, fut le signal
d’un retour plus strict aux pratiques de l’ancien culte
national perse. Aourazmada (Ormuzd) n’aurait donc pas,
au temps de Darius, toléré qu’on invoquât la protection du
taureau ailé; mais, sous les successeurs de ce prince, la
nationalité perse se fondit dans l’ensemble de l’empire, et
les dieux étrangers envahirent le panthéon perse. On trouve
le taureau androcéphale aux portes des palais à partir du
règne de Xerxès. Toutefois le chapiteau bicéphale est plus
ancien ; seulement il faut remarquer qu’il n’a aucune
signification emblématique ; ce n’est qu’un simple motif
d’ornementation.
Ce chapiteau, d’après M. Dieulafoy, est d’origine égyp-
tienne. Le mode d’accolement des animaux serait un
premier indice de cette filiation ; les Égyptiens paraissent
être les seuls peuples qui aient placé ainsi dos à dos les
animaux et les figures, que les Babyloniens et les Assyriens
mirent généralement en regard. On trouve d’ailleurs en
Egypte, sous les premières dynasties, dans les palais
privés, un assemblage de têtes de bœufs ou de lions ayant
dans leur disposition des analogies avec les taureaux des
chapiteaux perses.
M. Dieulafoy croit que celui du Louvre appartenait
aux parties conservées de l’ancien palais de Darius. Les
fragments de chapiteau qu’il a pu trouver dans l’Apadâna
d’Artaxerxès étaient peu nombreux, de valeur très inégale
et vraisemblablement d’époques différentes; les uns étaient
taillés par des maîtres habiles, d’autres mal tracés et mal
exécutés; Artaxerxès aurait donc, à l’exemple des rois
assyriens, utilisé dans la construction de son Apadâna une
partie des matériaux de l’ancien palais de Darius.
Quoi qu’il en soit, il est certain que ces taureaux ont
une valeur artistique bien supérieure à celle des lions ; si
l’on regarde de face l’une de ces têtes, celle du côté de la
cour, qui est la mieux conservée, il est impossible de ne
pas être frappé de sa facture aisée et franche, et du carac-
tère de noblesse qu’elle présente. L’exécution est d’ailleurs
tout à fait ninivite : chaque taureau porte au cou un col-
lier décoré de cette rosace que les Grecs ont appelée
enthémion.
Le chapiteau est supporté par son pilastre décoré de
seize volutes; pilastre et chapiteau formaient la partie
supérieure d’une colonne haute de vingt mètres; on peut
voir la base d’une colonne semblable dans la même salle.
Ces précieux restes d'un art disparu sont maintenant à
tout jamais notre propriété. Le Louvre hospitalier leur a
fait bon accueil. Il pourra bien arriver, néanmoins, qu’avec
le temps, ils soient un peu délaissés. Les archers de Darius,
après avoir vu les pompes de Suse et le festin d’Assuérus,
qui dura cent quatre-vingts jours, monteront solitairement
leur garde dans la salle qui leur a été assignée ; les tau-
reaux de marbre ne verront plus à leurs pieds que quel-
ques visiteurs qui ne les comprendront pas toujours. Et,
cependant, non loin de là, les œuvres rivales du petit
peuple qui lutta si vaillamment contre les puissants rois
de Perse seront toujours entourées et admirées. Que fût-il
advenu, pourtant, si par malheur le sort des armes eût été
contraire à la Grèce, dans les journées de Marathon et de
Salamine? La fortune de ces archers et de ces taureaux
n’eût-elle pas été tout autre ?
C. Gabillot.
sont le manganèse, le jaune, le blanc, le pourpre, et pour
les fonds le bleu1. Cette frise est en somme un beau spé-
cimen de l’art des Achéménides.
La frise des lions lui est inférieure. Nous en avons
déjà donné la raison. Elle appartenait au palais d’Arta-
xerxès-Mnémon, et l’art était déjà en décadence sous le
règne de ce prince. Il s’en faut de beaucoup que ces lions
aient la meme valeur que ceux de l’école sargonide, notam-
ment de ceux qu’on voit dans les bas-reliefs d’Assourba-
nibal. Ces derniers ont été évidemment étudiés sur nature.
Ceux de Suse reproduisent vraisemblablement un type
conventionnel, admis depuis longtemps, et ne serrant plus
la nature d’aussi près. Ces lions sont gras et ronds comme
des chats domestiques. Le dessin du corps et surtout celui
de la tête sont peu exacts.
Le mouvement général est vrai cependant. L’animal
marche avec calme; la bouche largement ouverte laisse
apparaître la langue et les dents; les pattes ont de la sou-
plesse. La coloration est quelque peu fantastique : la robe
est blanche, la crinière verte, les poils de la moustache
bleus et jaunes ; le ventre orné de poils bleus. Les tendons,
les articulations des pattes, les griffes sont jaunes, bleus
ou verts. Cette émaillure n’est plus supportée par des
briques, comme au temps de Darius ; ce sont des parallé-
lipipèdes de béton aggloméré, dont la pâte plus poreuse
retenait mieux l’émail.
Cette frise, comme celle des archers, est encadrée par
un ornement courant composé de fleurons dérivés de la
palmette assyrienne ; au-dessus sont des marguerites,
comme dans les frises assyriennes, et enfin un crénelage
aussi de forme assyrienne. Les merlons qui forment ce
crénelage, ayant leurs faces supérieures et latérales émail-
lées, se détachaient sur le ciel; ils formaient donc la partie
supérieure d’une façade isolée ; c’était celle du pylône
placé en avant de l’Apadâna.
Dans la frise des archers, la bordure est la même;
seulement les merlons ne sont plus ajourés; ils se déta-
chent seulement sur un fond blanc; c’est ce qui fait croire
à M. Dieulafoy que les archers, tout en décorant la façade
extérieure de l’Apadâna, n’étaient cependant pas à l’air
libre; ils devaient être garantis par une colonnade2.
La force et la majesté du taureau, les services que ren-
dait le bœuf à l’agriculture paraissent avoir vivement
impressionné les premiers peuples de l’Orient. Dans la
Mésopotamie, le taureau androcéphale, gardien des portes,
était le génie tutélaire des temples et des palais; le bœuf
Apis était regardé en Égypte comme l’image du dieu
Ptah.
Il ne semble pas cependant qu’en Perse, l’un ou
l’autre, du moins à l’origine, aient joué un rôle dans le
1. Les deux fragments de cette frise, qui sont au Louvre, ne sont
pas aussi complets ni aussi bien conservés l’un que l’autre. Celui des
archers qui vont à la rencontre les uns des autres a dû subir de
nombreuses restaurations.
Il ne nous a pas semblé que, dans les briques non restaurées,
le blanc dont nous parlons fût un blanc parfait; c’est plutôt un gris
rose. C’est la même chose dans la frise des lions. La question des
origines de l’émail blanc n’est donc pas encore résolue ici.
2. Si les faits racontés dans le livre d’Esther sont vrais, ils
ont eu pour théâtre cet ancien palais de Darius. Dans la pensée de
l’auteur de ce livre, Assuérus, en effet, ne serait autre que Xerxès.
Le chapiteau bicéphale du Louvre aurait donc été témoin de l’éva-
nouissement d’Esther, et Mardochée, « assis le plus souvent aux
portes du palais », a pu contempler bien des fois la frise des archers.
On sait que beaucoup d’artistes ont reproduit la scène d’Esther
devant Assuérus, notamment Poussin et Antoine Coypel, mais avec
des personnages et dans un milieu de fantaisie. Ce serait peut-être,
pour un de nos artistes, une chose à tenter que de refaire le
même tableau, en lui donnant la couleur locale que les données
archéologiques actuelles permettent de lui restituer.
25 I
symbolisme religieux. D’ailleurs le bœuf ne s’est guère
acclimaté et n’a jamais prospéré sur le plateau de l’Iran.
Il faut donc les considérer comme d’importation étrangère
dans la décoration des édifices achéménides.
La révolution qui causa la mort du faux Smerdis et
amena l’avènement de Darius, fils d’Hystaspe, dirigée
comme on le sait contre les mages de Médie, fut le signal
d’un retour plus strict aux pratiques de l’ancien culte
national perse. Aourazmada (Ormuzd) n’aurait donc pas,
au temps de Darius, toléré qu’on invoquât la protection du
taureau ailé; mais, sous les successeurs de ce prince, la
nationalité perse se fondit dans l’ensemble de l’empire, et
les dieux étrangers envahirent le panthéon perse. On trouve
le taureau androcéphale aux portes des palais à partir du
règne de Xerxès. Toutefois le chapiteau bicéphale est plus
ancien ; seulement il faut remarquer qu’il n’a aucune
signification emblématique ; ce n’est qu’un simple motif
d’ornementation.
Ce chapiteau, d’après M. Dieulafoy, est d’origine égyp-
tienne. Le mode d’accolement des animaux serait un
premier indice de cette filiation ; les Égyptiens paraissent
être les seuls peuples qui aient placé ainsi dos à dos les
animaux et les figures, que les Babyloniens et les Assyriens
mirent généralement en regard. On trouve d’ailleurs en
Egypte, sous les premières dynasties, dans les palais
privés, un assemblage de têtes de bœufs ou de lions ayant
dans leur disposition des analogies avec les taureaux des
chapiteaux perses.
M. Dieulafoy croit que celui du Louvre appartenait
aux parties conservées de l’ancien palais de Darius. Les
fragments de chapiteau qu’il a pu trouver dans l’Apadâna
d’Artaxerxès étaient peu nombreux, de valeur très inégale
et vraisemblablement d’époques différentes; les uns étaient
taillés par des maîtres habiles, d’autres mal tracés et mal
exécutés; Artaxerxès aurait donc, à l’exemple des rois
assyriens, utilisé dans la construction de son Apadâna une
partie des matériaux de l’ancien palais de Darius.
Quoi qu’il en soit, il est certain que ces taureaux ont
une valeur artistique bien supérieure à celle des lions ; si
l’on regarde de face l’une de ces têtes, celle du côté de la
cour, qui est la mieux conservée, il est impossible de ne
pas être frappé de sa facture aisée et franche, et du carac-
tère de noblesse qu’elle présente. L’exécution est d’ailleurs
tout à fait ninivite : chaque taureau porte au cou un col-
lier décoré de cette rosace que les Grecs ont appelée
enthémion.
Le chapiteau est supporté par son pilastre décoré de
seize volutes; pilastre et chapiteau formaient la partie
supérieure d’une colonne haute de vingt mètres; on peut
voir la base d’une colonne semblable dans la même salle.
Ces précieux restes d'un art disparu sont maintenant à
tout jamais notre propriété. Le Louvre hospitalier leur a
fait bon accueil. Il pourra bien arriver, néanmoins, qu’avec
le temps, ils soient un peu délaissés. Les archers de Darius,
après avoir vu les pompes de Suse et le festin d’Assuérus,
qui dura cent quatre-vingts jours, monteront solitairement
leur garde dans la salle qui leur a été assignée ; les tau-
reaux de marbre ne verront plus à leurs pieds que quel-
ques visiteurs qui ne les comprendront pas toujours. Et,
cependant, non loin de là, les œuvres rivales du petit
peuple qui lutta si vaillamment contre les puissants rois
de Perse seront toujours entourées et admirées. Que fût-il
advenu, pourtant, si par malheur le sort des armes eût été
contraire à la Grèce, dans les journées de Marathon et de
Salamine? La fortune de ces archers et de ces taureaux
n’eût-elle pas été tout autre ?
C. Gabillot.