LA CERAMIQUE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889.
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horribles copies, on revoit malgré soi toutes ces malpro-
pretés artistiques qui se débitent partout en Italie, depuis
la gondole vénitienne à quinze sous jusqu’à la Tour pen-
chée flanquée d’un thermomètre, depuis la vue microsco-
pique de la cathédrale de Milan enchâssée dans un porte-
plume jusqu’au papier peint représentant une éruption du
Vésuve. Trop de souvenirs partout, décidément.
Voici, au contraire, un petit pays qui n’a qu’un passé
artistique bien modeste en comparaison du bagage des
Italiens ; le Portugal n’a jamais passé pour la terre clas-
sique des arts, et voilà que dans sa petite, mais pimpante
et coquette Exposition, imprégnée de soleil, il nous montre
une faïence née d’hier, toute pleine d’originalité et de
laisser-aller. Les faïences de Caldas de la Rainha, que
j’ai entendues condamner au point de vue de la technique,
réjouiront toujours les yeux de ceux qui ne craignent pas
une décoration pittoresque et qui ne se laissent pas inti-
mider par les axiomes des tapissiers classiques. Une
grande sobriété de couleur, des jaunes, des verts, des
teintes d’acier bleui ou des flambés fabriqués un peu au
petit bonheur ; tout cela gai, brillant, bien tourné ; en
voilà plus qu’il n’en faut pour créer beaucoup d’amis à ces
faïences bon enfant, bon marché, où cabriolent les gre-
nouilles, où rampent les serpents, où s’incrustent les
de la Manufacture royale de Copenhague.
(Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
coquillages. Je sais bien qu’il a existé de par le monde un
certain Bernard Palissy qui, jadis, avait mis ce genre à la
mode, et qu’il a dû quelque peu tenir sur les fonts son
arrière-petit-neveu de Caldas de la Rainha; mais l’imita-
tion, si imitation il y a, est si franche et si libre d’allures
qu’on ne peut crier au plagiat. Ajoutez qu’à ces qualités
artistiques, ces plats, ces pots et ces animaux de toutes
sortes joignent l’attrait de prix très abordables, ce qui n’est
nullement à dédaigner.
Voici encore des coloristes qui, pour n’être pas préci-
sément des méridionaux, ont partagé de tout temps avec
leurs confrères des climats plus tempérés le don si rare de
savoir faite des tons chauds avec du noir et du blanc. La
faïence de Delft est en pleine résurrection ; oserai-je même
le dire, je trouve qu’elle est en progrès; elle ne fabrique
plus de potiches, elle ne contrefait plus en faïence la por-
celaine de Chine ou du Japon, elle est elle-même et bien
hollandaise. Le bleu et Ife blanc y régnent toujours sans
partage, mais que ce bleu se marie admirablement à un
admirable émail! Plusieurs des panneaux exposés par les
Hollandais sont de véritables chefs-d’œuvre de goût et
d’entente de la décoration, et bien rarement on a traité
avec plus de liberté et d’habileté l’art difficile de la pein-
ture sur faïence. Scènes hollandaises, marines, paysages,
sujets allégoriques, tout est exécuté d’après d’excellents
modèles avec une maestria extraordinaire. Ce serait
grand dommage qu’après l’Exposition, ces belles œuvres
ne fussent plus connues à Paris où elles trouveront un
accueil des plus engageants. Voilà de la faïence appro-
priée, intelligemment cette fois, à la décoration intérieure.
Je dois mentionner seulement les têtes de colonnes et
ne parler que des choses réellement nouvelles que ren-
fermait l’Exposition. On connaît de longue date les déco-
rations monumentales en faïence émaillée ou les revête-
mentscéramiquesde MM. Lœbnitz, Boulenger, Fargue,etc.
A signaler cependant chez ce dernier des imitations, trop
crues de tons d’ailleurs, des reliefs émaillés que les fouilles
de Suse ont mis au jour ; je suis même surpris que ces
vénérables monuments n’aient pas engendré toute une
décoration plus originale que de simples copies. On
connaît aussi les faïences de Nevers, de Blois, imitations
qui ne sont pas dépourvues d’une certaine dose d’origina-
lité; les reflets rouges ou jaunes de M. Massier, dont la
Grès flambés,
par M. Delaherche. (Exposition Universelle de 1889.)
Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
fabrique de Vallauris produit de si charmantes pièces; je
ne vois rien de nouveau à signaler dans tout cela, mais il
ne faudrait pas prendre mon silence pour une critique :
beaucoup de ces produits sont d’une réelle perfection et
dénotent un véritable sens artistique. Une catégorie de
produits céramiques que je tiens à noter tout particulière-
ment, ce sont les grès de M. Delaherche, de Beauvais.
J’aime infiniment le parti que l’on a tiré d’une matière
grossière; je remarque surtout combien les formes de
vases sont bien appropriées, comme la décoration, à cette
matière elle-même : des profils simples, des teintes unies
ou flambées, une décoration très sobre et d’un goût parfait
contribuent à faire des grès de M. Delaherche une des
séries les plus intéressantes que contenait la section de
la céramique française. C’est en les admirant sans restric-
tion que je terminerai cette rapide promenade. Aussi bien
ai-je assez loué les étrangers, comme je l’ai cru devoir
faire du reste, pour avoir le droit d’adresser un éloge bien
senti à des objets d’art sortis du sol de ce bon pays de
France, dont nous pouvons encore constater sans inquié-
tude le niveau artistique.
Emile M o l i n i e r .
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horribles copies, on revoit malgré soi toutes ces malpro-
pretés artistiques qui se débitent partout en Italie, depuis
la gondole vénitienne à quinze sous jusqu’à la Tour pen-
chée flanquée d’un thermomètre, depuis la vue microsco-
pique de la cathédrale de Milan enchâssée dans un porte-
plume jusqu’au papier peint représentant une éruption du
Vésuve. Trop de souvenirs partout, décidément.
Voici, au contraire, un petit pays qui n’a qu’un passé
artistique bien modeste en comparaison du bagage des
Italiens ; le Portugal n’a jamais passé pour la terre clas-
sique des arts, et voilà que dans sa petite, mais pimpante
et coquette Exposition, imprégnée de soleil, il nous montre
une faïence née d’hier, toute pleine d’originalité et de
laisser-aller. Les faïences de Caldas de la Rainha, que
j’ai entendues condamner au point de vue de la technique,
réjouiront toujours les yeux de ceux qui ne craignent pas
une décoration pittoresque et qui ne se laissent pas inti-
mider par les axiomes des tapissiers classiques. Une
grande sobriété de couleur, des jaunes, des verts, des
teintes d’acier bleui ou des flambés fabriqués un peu au
petit bonheur ; tout cela gai, brillant, bien tourné ; en
voilà plus qu’il n’en faut pour créer beaucoup d’amis à ces
faïences bon enfant, bon marché, où cabriolent les gre-
nouilles, où rampent les serpents, où s’incrustent les
de la Manufacture royale de Copenhague.
(Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
coquillages. Je sais bien qu’il a existé de par le monde un
certain Bernard Palissy qui, jadis, avait mis ce genre à la
mode, et qu’il a dû quelque peu tenir sur les fonts son
arrière-petit-neveu de Caldas de la Rainha; mais l’imita-
tion, si imitation il y a, est si franche et si libre d’allures
qu’on ne peut crier au plagiat. Ajoutez qu’à ces qualités
artistiques, ces plats, ces pots et ces animaux de toutes
sortes joignent l’attrait de prix très abordables, ce qui n’est
nullement à dédaigner.
Voici encore des coloristes qui, pour n’être pas préci-
sément des méridionaux, ont partagé de tout temps avec
leurs confrères des climats plus tempérés le don si rare de
savoir faite des tons chauds avec du noir et du blanc. La
faïence de Delft est en pleine résurrection ; oserai-je même
le dire, je trouve qu’elle est en progrès; elle ne fabrique
plus de potiches, elle ne contrefait plus en faïence la por-
celaine de Chine ou du Japon, elle est elle-même et bien
hollandaise. Le bleu et Ife blanc y régnent toujours sans
partage, mais que ce bleu se marie admirablement à un
admirable émail! Plusieurs des panneaux exposés par les
Hollandais sont de véritables chefs-d’œuvre de goût et
d’entente de la décoration, et bien rarement on a traité
avec plus de liberté et d’habileté l’art difficile de la pein-
ture sur faïence. Scènes hollandaises, marines, paysages,
sujets allégoriques, tout est exécuté d’après d’excellents
modèles avec une maestria extraordinaire. Ce serait
grand dommage qu’après l’Exposition, ces belles œuvres
ne fussent plus connues à Paris où elles trouveront un
accueil des plus engageants. Voilà de la faïence appro-
priée, intelligemment cette fois, à la décoration intérieure.
Je dois mentionner seulement les têtes de colonnes et
ne parler que des choses réellement nouvelles que ren-
fermait l’Exposition. On connaît de longue date les déco-
rations monumentales en faïence émaillée ou les revête-
mentscéramiquesde MM. Lœbnitz, Boulenger, Fargue,etc.
A signaler cependant chez ce dernier des imitations, trop
crues de tons d’ailleurs, des reliefs émaillés que les fouilles
de Suse ont mis au jour ; je suis même surpris que ces
vénérables monuments n’aient pas engendré toute une
décoration plus originale que de simples copies. On
connaît aussi les faïences de Nevers, de Blois, imitations
qui ne sont pas dépourvues d’une certaine dose d’origina-
lité; les reflets rouges ou jaunes de M. Massier, dont la
Grès flambés,
par M. Delaherche. (Exposition Universelle de 1889.)
Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
fabrique de Vallauris produit de si charmantes pièces; je
ne vois rien de nouveau à signaler dans tout cela, mais il
ne faudrait pas prendre mon silence pour une critique :
beaucoup de ces produits sont d’une réelle perfection et
dénotent un véritable sens artistique. Une catégorie de
produits céramiques que je tiens à noter tout particulière-
ment, ce sont les grès de M. Delaherche, de Beauvais.
J’aime infiniment le parti que l’on a tiré d’une matière
grossière; je remarque surtout combien les formes de
vases sont bien appropriées, comme la décoration, à cette
matière elle-même : des profils simples, des teintes unies
ou flambées, une décoration très sobre et d’un goût parfait
contribuent à faire des grès de M. Delaherche une des
séries les plus intéressantes que contenait la section de
la céramique française. C’est en les admirant sans restric-
tion que je terminerai cette rapide promenade. Aussi bien
ai-je assez loué les étrangers, comme je l’ai cru devoir
faire du reste, pour avoir le droit d’adresser un éloge bien
senti à des objets d’art sortis du sol de ce bon pays de
France, dont nous pouvons encore constater sans inquié-
tude le niveau artistique.
Emile M o l i n i e r .