VI
INTRODUCTION.
Tlbérie. Le long des côtes maritimes, depuis Fuente Rabia jusqu'à
Gibraltar, depuis Gibraltar jusqu'au golfe de Roses, ou dirait une
guirlande flottante, composée de petits étendards hissés aux mâts
des bateaux-pêcheurs; et sur le rivage apparaît une population
joyeuse dont l'existence incertaine, abandonnée aux vagues
comme le berceau de Moïse, flotte sans cesse entre deux immen-
sités : l'immensité du ciel et l'immensité des mers.
Ici chaque siècle, tumultueuse caravane, a passé d'un pied si
léger, qu'à peine a-t-il laissé des traces ailleurs que sur les visages;
mais, derrière les siècles, certains costumes, certaines habitudes
sont restés comme autant de bagages oubliés dans la rapidité
d'une fuite que le temps précipite en vainqueur. Les âges venus
après ont utilisé ces dépouilles, respecté le caractère traditionnel
dont elles demeuraient empreintes, et façonné, pour leur usage,
un vêtement tantôt phénicien ou carthaginois, tantôt romain ou
gaulois, arabe ou normand, selon l'origine des passagers que la
caravane des siècles a promenés jadis à sa suite.
Un jour, deux puissants génies, fatigués de leur marche si
longue et de leur lutte si vive, le génie de l'art chrétien et celui
de l'art oriental, s'arrêtèrent immobiles sur les chefs-d'œuvre
enfantés par eux. La force leur manquait pour aller plus loin,
pour monter plus haut. Cette couronne rayonnante de foi vive et
de poésie qu'ils devaient poser au faîte d'édifices inachevés, le
doute qui enfanta Luther allait bientôt la flétrir et l'effeuiller : un
vent froid soufflait du nord, traversait la France, l'Italie, arrêtait
le spiritualisme dans sa carrière de régénération, scindait en deux
parties tranchées l'existence artistique de Raphaël, et mêlait
à l'idéal religieux de Michel-Ange l'idéal philosophique du pla-
tonisme.
Alors un art mondain, interprète d'idées mondaines, mélange
savant d'antiques réminiscences, grandissait presque sans con-
trainte : déjà, pour le recevoir, les ogives arrondissaient leurs
INTRODUCTION.
Tlbérie. Le long des côtes maritimes, depuis Fuente Rabia jusqu'à
Gibraltar, depuis Gibraltar jusqu'au golfe de Roses, ou dirait une
guirlande flottante, composée de petits étendards hissés aux mâts
des bateaux-pêcheurs; et sur le rivage apparaît une population
joyeuse dont l'existence incertaine, abandonnée aux vagues
comme le berceau de Moïse, flotte sans cesse entre deux immen-
sités : l'immensité du ciel et l'immensité des mers.
Ici chaque siècle, tumultueuse caravane, a passé d'un pied si
léger, qu'à peine a-t-il laissé des traces ailleurs que sur les visages;
mais, derrière les siècles, certains costumes, certaines habitudes
sont restés comme autant de bagages oubliés dans la rapidité
d'une fuite que le temps précipite en vainqueur. Les âges venus
après ont utilisé ces dépouilles, respecté le caractère traditionnel
dont elles demeuraient empreintes, et façonné, pour leur usage,
un vêtement tantôt phénicien ou carthaginois, tantôt romain ou
gaulois, arabe ou normand, selon l'origine des passagers que la
caravane des siècles a promenés jadis à sa suite.
Un jour, deux puissants génies, fatigués de leur marche si
longue et de leur lutte si vive, le génie de l'art chrétien et celui
de l'art oriental, s'arrêtèrent immobiles sur les chefs-d'œuvre
enfantés par eux. La force leur manquait pour aller plus loin,
pour monter plus haut. Cette couronne rayonnante de foi vive et
de poésie qu'ils devaient poser au faîte d'édifices inachevés, le
doute qui enfanta Luther allait bientôt la flétrir et l'effeuiller : un
vent froid soufflait du nord, traversait la France, l'Italie, arrêtait
le spiritualisme dans sa carrière de régénération, scindait en deux
parties tranchées l'existence artistique de Raphaël, et mêlait
à l'idéal religieux de Michel-Ange l'idéal philosophique du pla-
tonisme.
Alors un art mondain, interprète d'idées mondaines, mélange
savant d'antiques réminiscences, grandissait presque sans con-
trainte : déjà, pour le recevoir, les ogives arrondissaient leurs