VOYAGE EN ESPAGNE.
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le condamné à mort , parce que d'habitude il va d'irun à Madrid sans
désemparer, bridant, dételant lui-même sa bête qu'il tient enfourchée
et qu'il dirige au trot, souvent au galop, en tète de l'attelage. Autrefois,
sans escopetero, le service eût été regardé comme incomplet. L'esco-
petero, ennemi officiel des voleurs quand il n'était pas voleur lui-même,
occupait, muni d'une carabine, le haut de la diligence; mais grâce à la
guardia civil, nouveaux gendarmes espagnols, l'absence des mal-
faiteurs ferait de l'escopetero un objet de luxe et de fantaisie.
Andar! s'écrie le mayoral; andar, répète le zagal, en assaisonnant de
coups de fouet ou de bâton un flux d'étranges paroles adressées à ses
mules. Elles portent toutes un nom distinctif : C'apitana, Bella, Gene-
rala, Negra ; elles possèdent des qualités ou des défauts qu'il énumère
avec insistance, qu'il accompagne de dia, dia! bu, ku! et de jurons
auprès desquels le caramba est l'expression la plus polie. Les mules, dit
M. Challamel, sont de moitié dans ce langage. Au premier mot du pos-
tillon, il faut les voir dresser les oreilles, se pavaner, ralentir ou presser
le pas. Si l'une d'elles se montre indocile ou rue trop fort, notre postillon,
agile comme un Basque, saute de son siège placé à la même hauteur
que celui du coupé des diligences françaises, et court administrer la
correction accoutumée, qui dure parfois plusieurs minutes. Dans certains
moments, la conversation avec les mules devient générale. Le delan-
tero, le mayoral, le zagal, vocifèrent tous ensemble; trio de basses et de
hautes-contres auquel viennent se joindre la cadence des grelots qui
pendent au cou des mules et le son criard d'un essieu mal graissé.
D'Irun à Renteria, petite ville du Guipuzcoa, sur la rivière dont elle
porte le nom; de Renteria à Puenta de Santa Clara, la route, méandre
de verdure et de fleurs, est délicieuse. Aux arbres qu'on rencontre d'ha-
bitude dans cette Normandie de l'Espagne, se trouve mêlé un peuplier
à larges feuilles, beaucoup plus touffu, plus gracieux que le peuplier
ordinaire, et dont les ombres épaisses se projettent le long des chemins.
Après avoir côtoyé la haie romantique du Passage, garnie de mai-
sons blanches, défendue par le donjon Sainte-Isabelle, et décrit quel-
ques spirales, l'Orgullo, montagne conique élevée de cent cinquante
mètres au-dessus du niveau de l'Océan, couronnée par le château
de la Mota, se présente ayant à ses côtés une autre éminence qui
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le condamné à mort , parce que d'habitude il va d'irun à Madrid sans
désemparer, bridant, dételant lui-même sa bête qu'il tient enfourchée
et qu'il dirige au trot, souvent au galop, en tète de l'attelage. Autrefois,
sans escopetero, le service eût été regardé comme incomplet. L'esco-
petero, ennemi officiel des voleurs quand il n'était pas voleur lui-même,
occupait, muni d'une carabine, le haut de la diligence; mais grâce à la
guardia civil, nouveaux gendarmes espagnols, l'absence des mal-
faiteurs ferait de l'escopetero un objet de luxe et de fantaisie.
Andar! s'écrie le mayoral; andar, répète le zagal, en assaisonnant de
coups de fouet ou de bâton un flux d'étranges paroles adressées à ses
mules. Elles portent toutes un nom distinctif : C'apitana, Bella, Gene-
rala, Negra ; elles possèdent des qualités ou des défauts qu'il énumère
avec insistance, qu'il accompagne de dia, dia! bu, ku! et de jurons
auprès desquels le caramba est l'expression la plus polie. Les mules, dit
M. Challamel, sont de moitié dans ce langage. Au premier mot du pos-
tillon, il faut les voir dresser les oreilles, se pavaner, ralentir ou presser
le pas. Si l'une d'elles se montre indocile ou rue trop fort, notre postillon,
agile comme un Basque, saute de son siège placé à la même hauteur
que celui du coupé des diligences françaises, et court administrer la
correction accoutumée, qui dure parfois plusieurs minutes. Dans certains
moments, la conversation avec les mules devient générale. Le delan-
tero, le mayoral, le zagal, vocifèrent tous ensemble; trio de basses et de
hautes-contres auquel viennent se joindre la cadence des grelots qui
pendent au cou des mules et le son criard d'un essieu mal graissé.
D'Irun à Renteria, petite ville du Guipuzcoa, sur la rivière dont elle
porte le nom; de Renteria à Puenta de Santa Clara, la route, méandre
de verdure et de fleurs, est délicieuse. Aux arbres qu'on rencontre d'ha-
bitude dans cette Normandie de l'Espagne, se trouve mêlé un peuplier
à larges feuilles, beaucoup plus touffu, plus gracieux que le peuplier
ordinaire, et dont les ombres épaisses se projettent le long des chemins.
Après avoir côtoyé la haie romantique du Passage, garnie de mai-
sons blanches, défendue par le donjon Sainte-Isabelle, et décrit quel-
ques spirales, l'Orgullo, montagne conique élevée de cent cinquante
mètres au-dessus du niveau de l'Océan, couronnée par le château
de la Mota, se présente ayant à ses côtés une autre éminence qui