VOYAGE EN ESPAGNE.
112
moyen de contrarier une volonté si nettement formulée. Une fosse fut
creusée dans la grotte. On y descendit Prudentius, et c'est de là que
depuis lors il n'a pas cessé de veiller sur le pays.
Maintenant, écoutez une autre liistoire : venez dans le pré du Bouc,
sur les rives de l'Èbre navarraise. Trois fois la semaine, entre les
hurlements des loups et le chant du coq, c'est-à-dire depuis neuf heures
du soir jusqu'à l'aube matinale, tous les sorciers de la Péninsule s'y
rendent. Vous entendrez, de la bouche du roi des sorciers, le programme
que voici :
« Le lundi, le mercredi et le vendredi de chaque semaine sont les
grands jours de réception, sans compter les jours de fêtes solennelles,
comme la Toussaint, Noël, Pâques, la Pentecôte. A neuf heures du soir,
la séance commence; elle se prolonge jusqu'à minuit, même au delà.
« D'abord arrive le maître, sous les traits d'un homme noir, laid ,
colère, attristé... Sa tète est ornée d'une petite couronne de cornes très-
fines, sans compter deux autres cornes plus longues, qu'il porte sur le
derrière du cràne, et une corne monstre, plantée au milieu du front.
Cette dernière, allumée comme une torche, jette une lumière plus bril-
lante que celle de la lune et moins éclatante que celle du soleil : elle
sert de lampe à l'assemblée. Les yeux du maître sont grands, ronds et
bien fendus, un peu saillants comme ceux d'un hibou; ils brillent dans
l'ombre comme des yeux de loup; sa barbe est la barbe d'une chèvre.
La partie inférieure de son corps se trouve exactement conforme à celle
d'un bouc. Ses pieds et ses mains ressemblent à ceux d'un singe; seu-
lement ses doigts, tous de la même longueur, sont terminés par des
ongles démesurés, qui vers la pointe se recourbent comme des griffes
de lion. L'extrémité de ses pieds figure la patte d'une oie; ses mains
ressemblent aux serres d'un oiseau carnassier.
« A peine arrivé, le maître va s'asseoir sur un trône d'or, les jours de
fête, et simplement de bois d'ébène les autres jours. Dès qu'il est placé,
chacun des adeptes se prosterne, et attend qu'il ait parlé. Sa voix
retentit alors, rauque et discordante comme celle de l'âne mêlée au
rugissement du lion. Ses paroles , toujours mal articulées, sont pro-
noncées d'un ton arrogant. L'ensemble de sa figure et de ses actions
exprime la colère et la mauvaise humeur. Quelquefois, c'est un air
112
moyen de contrarier une volonté si nettement formulée. Une fosse fut
creusée dans la grotte. On y descendit Prudentius, et c'est de là que
depuis lors il n'a pas cessé de veiller sur le pays.
Maintenant, écoutez une autre liistoire : venez dans le pré du Bouc,
sur les rives de l'Èbre navarraise. Trois fois la semaine, entre les
hurlements des loups et le chant du coq, c'est-à-dire depuis neuf heures
du soir jusqu'à l'aube matinale, tous les sorciers de la Péninsule s'y
rendent. Vous entendrez, de la bouche du roi des sorciers, le programme
que voici :
« Le lundi, le mercredi et le vendredi de chaque semaine sont les
grands jours de réception, sans compter les jours de fêtes solennelles,
comme la Toussaint, Noël, Pâques, la Pentecôte. A neuf heures du soir,
la séance commence; elle se prolonge jusqu'à minuit, même au delà.
« D'abord arrive le maître, sous les traits d'un homme noir, laid ,
colère, attristé... Sa tète est ornée d'une petite couronne de cornes très-
fines, sans compter deux autres cornes plus longues, qu'il porte sur le
derrière du cràne, et une corne monstre, plantée au milieu du front.
Cette dernière, allumée comme une torche, jette une lumière plus bril-
lante que celle de la lune et moins éclatante que celle du soleil : elle
sert de lampe à l'assemblée. Les yeux du maître sont grands, ronds et
bien fendus, un peu saillants comme ceux d'un hibou; ils brillent dans
l'ombre comme des yeux de loup; sa barbe est la barbe d'une chèvre.
La partie inférieure de son corps se trouve exactement conforme à celle
d'un bouc. Ses pieds et ses mains ressemblent à ceux d'un singe; seu-
lement ses doigts, tous de la même longueur, sont terminés par des
ongles démesurés, qui vers la pointe se recourbent comme des griffes
de lion. L'extrémité de ses pieds figure la patte d'une oie; ses mains
ressemblent aux serres d'un oiseau carnassier.
« A peine arrivé, le maître va s'asseoir sur un trône d'or, les jours de
fête, et simplement de bois d'ébène les autres jours. Dès qu'il est placé,
chacun des adeptes se prosterne, et attend qu'il ait parlé. Sa voix
retentit alors, rauque et discordante comme celle de l'âne mêlée au
rugissement du lion. Ses paroles , toujours mal articulées, sont pro-
noncées d'un ton arrogant. L'ensemble de sa figure et de ses actions
exprime la colère et la mauvaise humeur. Quelquefois, c'est un air