VOYAGE EN ESPAGNE.
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Il ne faut rien moins que ces souvenirs d'Uclès et l'aspect du vieux
château de Huelves pour surmonter l'ennui qu'inspire la monotone
uniformité du pays; mais une fois la petite ville d'IIorcajada franchie,
des pins, des chênes, des ruisseaux d'eau vive, des collines agréables
surviennent; puis le désert recommence et l'on n'a devant soi que des
coteaux dépouillés, des abîmes et des nids d'aigles qui forment la ville
de Cuenca.
Figurez-vous une vieille cité dont l'habit de pierre s'offre comme un
haillon à larges déchirures; bâtie à la surface d'un rocher fort élevé
que dominent d'autres rochers plus escarpés. Entassez, à travers les
inégalités capricieuses du sol, des maisons plus capricieuses encore;
promenez à leurs pieds deux rivières, la Huescar et le Jucar, plantées
de grands arbres qui forment une alameda charmante; tapissez les
pentes de toutes les collines de jardins potagers, de vergers et de par-
terres; faites-y circuler quantité d'eaux vives; imaginez sur le Jucar un
pont gigantesque , le pont de San-Pablo unissant deux montagnes;
construction formée de trois énormes piles élevées de cinquante mètres
sur une longueur de cent mètres; rappelez sur ces arcades les proces-
sions, les bannières, les chevaux bardés d'autrefois, et dites-moi s'il
existe au monde quelque chose de plus pittoresque; voilà cependant la
ville de Cuenca. Sa merveille utile, elle la doit à l'architecte Francisco
de Luna, hydrographe aussi savant qu'architecte habile; sa merveille
poétique et religieuse, sa cathédrale , elle en est redevable à plusieurs
générations d'artistes, à la foi de ses pères.
Pour bien jouir des beautés romantiques de Cuenca, il faut traverser
le pont de deux arches jeté sur le Jucar, à l'ouest de la ville, prendre
ensuite le passage qui se trouve au-dessous d'une des arches et suivre
la droite de la rivière. Au bas du pont se dessine une espèce de
digue en ruine, à l'aide de laquelle les eaux formaient un réservoir de-
venu ruisseau torrentiel, mais limpide. Quand on a dépassé une allée
de trembles et de peupliers, on voit la ville dresser sa tête altière, et,
pour peu que l'on incline , en montant, vers la rive droite, on jouira
d'une vue charmante, qui deviendra d'autant plus variée, d'autant
plus riche qu'on s'élèvera davantage vers la côte du vallon de Huescar.
Dans cette excursion, les piles colossales de l'aqueduc apparaîtront avec
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Il ne faut rien moins que ces souvenirs d'Uclès et l'aspect du vieux
château de Huelves pour surmonter l'ennui qu'inspire la monotone
uniformité du pays; mais une fois la petite ville d'IIorcajada franchie,
des pins, des chênes, des ruisseaux d'eau vive, des collines agréables
surviennent; puis le désert recommence et l'on n'a devant soi que des
coteaux dépouillés, des abîmes et des nids d'aigles qui forment la ville
de Cuenca.
Figurez-vous une vieille cité dont l'habit de pierre s'offre comme un
haillon à larges déchirures; bâtie à la surface d'un rocher fort élevé
que dominent d'autres rochers plus escarpés. Entassez, à travers les
inégalités capricieuses du sol, des maisons plus capricieuses encore;
promenez à leurs pieds deux rivières, la Huescar et le Jucar, plantées
de grands arbres qui forment une alameda charmante; tapissez les
pentes de toutes les collines de jardins potagers, de vergers et de par-
terres; faites-y circuler quantité d'eaux vives; imaginez sur le Jucar un
pont gigantesque , le pont de San-Pablo unissant deux montagnes;
construction formée de trois énormes piles élevées de cinquante mètres
sur une longueur de cent mètres; rappelez sur ces arcades les proces-
sions, les bannières, les chevaux bardés d'autrefois, et dites-moi s'il
existe au monde quelque chose de plus pittoresque; voilà cependant la
ville de Cuenca. Sa merveille utile, elle la doit à l'architecte Francisco
de Luna, hydrographe aussi savant qu'architecte habile; sa merveille
poétique et religieuse, sa cathédrale , elle en est redevable à plusieurs
générations d'artistes, à la foi de ses pères.
Pour bien jouir des beautés romantiques de Cuenca, il faut traverser
le pont de deux arches jeté sur le Jucar, à l'ouest de la ville, prendre
ensuite le passage qui se trouve au-dessous d'une des arches et suivre
la droite de la rivière. Au bas du pont se dessine une espèce de
digue en ruine, à l'aide de laquelle les eaux formaient un réservoir de-
venu ruisseau torrentiel, mais limpide. Quand on a dépassé une allée
de trembles et de peupliers, on voit la ville dresser sa tête altière, et,
pour peu que l'on incline , en montant, vers la rive droite, on jouira
d'une vue charmante, qui deviendra d'autant plus variée, d'autant
plus riche qu'on s'élèvera davantage vers la côte du vallon de Huescar.
Dans cette excursion, les piles colossales de l'aqueduc apparaîtront avec