VOYAGE EN ESPAGNE.
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son étude sérieuse des formes humaines, ou de sa perspective et de son
clair-obscur. Nous aimons ses groupes d'anges; nous aimons plus encore
ses Vierges; nous stationnons volontiers avec lui au pied d'une croix;
mais nous le suivons plus volontiers encore vers cette idéalité céleste
que son pinceau réalise.
La plupart des toiles du musée doivent leur salut à la présence
d'esprit, à la popularité du respectable doyen Cepéron. Dans une émeute,
où plusieurs bandes soudoyées couraient les rues et les monastères,
brisant, arrachant ce qu'elles rencontraient sur leur passage, quantité
d'objets précieux allaient-être anéantis : le doyen Cepéron arrive : « Mes
amis, dit-il, qu'allez-vous faire? Insulter des Vierges, des saints que
vous priez tous les jours; mais ils ne vous écouteront plus; ils resteront
sourds à vos plaintes et vous n'aurez plus de protecteurs près de Dieu.
Croyez-moi, gardez toutes ces images, gardez-les précieusement; elles
sont à vous tous, et pour que chacun en jouisse, allons les déposer au
couvent de la Merced. » — On cria vive Cepéron, et le musée provincial
prit naissance.
M. Cepéron n'a pas seulement créé le musée de Séville, il a doté celui
de Madrid de plusieurs tableaux, notamment d'un Zurbaran dont
Wellington donnait un prix fort considérable; et il a réuni chez lui les
petites œuvres, qui figurent mieux dans une collection particulière que
dans une collection royale. Nous avons passé trois heures avec M. Cepéron
et ses illustres toiles, sous des lambris imprégnés des souvenirs de
Murillo; nous ne nous lassions pas d'entendre sa phrase castillane, si
vive et si pétulante; pour le quitter, il fallait tout l'attrait que nous
offraient les salons de l'hôtel de ville et ceux de la Lonja.
A l'hôtel de ville où nous fûmes reçus par l'alcade-mayor, jeune ma-
gistrat d'un ton exquis; on nous fit voir des sculptures renaissance
exécutées avec une finesse, avec une fermeté rares, même en France, et
quelques autographes du plus haut intérêt pour l'histoire artistique et
littéraire de la localité. A la Lonja, édifice monstrueux, au lieu des
dragons farouches devant lesquels M. Théophile Gautier fut obligé de
rebrousser chemin sans avoir rien vu, nous rencontrâmes d'aimables
gardiens, qui déployèrent sous nos yeux la correspondance autographe
de Christophe Colomb, de Pizarre, de Las-Casas, de Fernand Cortès et
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son étude sérieuse des formes humaines, ou de sa perspective et de son
clair-obscur. Nous aimons ses groupes d'anges; nous aimons plus encore
ses Vierges; nous stationnons volontiers avec lui au pied d'une croix;
mais nous le suivons plus volontiers encore vers cette idéalité céleste
que son pinceau réalise.
La plupart des toiles du musée doivent leur salut à la présence
d'esprit, à la popularité du respectable doyen Cepéron. Dans une émeute,
où plusieurs bandes soudoyées couraient les rues et les monastères,
brisant, arrachant ce qu'elles rencontraient sur leur passage, quantité
d'objets précieux allaient-être anéantis : le doyen Cepéron arrive : « Mes
amis, dit-il, qu'allez-vous faire? Insulter des Vierges, des saints que
vous priez tous les jours; mais ils ne vous écouteront plus; ils resteront
sourds à vos plaintes et vous n'aurez plus de protecteurs près de Dieu.
Croyez-moi, gardez toutes ces images, gardez-les précieusement; elles
sont à vous tous, et pour que chacun en jouisse, allons les déposer au
couvent de la Merced. » — On cria vive Cepéron, et le musée provincial
prit naissance.
M. Cepéron n'a pas seulement créé le musée de Séville, il a doté celui
de Madrid de plusieurs tableaux, notamment d'un Zurbaran dont
Wellington donnait un prix fort considérable; et il a réuni chez lui les
petites œuvres, qui figurent mieux dans une collection particulière que
dans une collection royale. Nous avons passé trois heures avec M. Cepéron
et ses illustres toiles, sous des lambris imprégnés des souvenirs de
Murillo; nous ne nous lassions pas d'entendre sa phrase castillane, si
vive et si pétulante; pour le quitter, il fallait tout l'attrait que nous
offraient les salons de l'hôtel de ville et ceux de la Lonja.
A l'hôtel de ville où nous fûmes reçus par l'alcade-mayor, jeune ma-
gistrat d'un ton exquis; on nous fit voir des sculptures renaissance
exécutées avec une finesse, avec une fermeté rares, même en France, et
quelques autographes du plus haut intérêt pour l'histoire artistique et
littéraire de la localité. A la Lonja, édifice monstrueux, au lieu des
dragons farouches devant lesquels M. Théophile Gautier fut obligé de
rebrousser chemin sans avoir rien vu, nous rencontrâmes d'aimables
gardiens, qui déployèrent sous nos yeux la correspondance autographe
de Christophe Colomb, de Pizarre, de Las-Casas, de Fernand Cortès et