VOYAGE EN PORTUGAL.
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forêts, bruyères plus vastes encore, villes pauvres et petites, villages
très-distancés; mais par intervalle quelques plaines magnifiques, quel-
ques sites enchanteurs, surtout le long du Tage et de la Guadiana.
La ville épiscopale et militaire de Badajoz, ville triste et sombre,
malgré l'éclat du ciel , sans commerce, presque sans industrie ,
quoiqu'elle soit le nœud de jonction des deux royaumes, sert de capi-
tale à l'Estramadure. Elle possède un beau pont de dix-huit arches sur
la Guadiana; un château mauresque qui tombe en ruines; une enceinte
également mauresque à laquelle sont ajoutés de formidables bastions;
une cathédrale massive fondée par Alonso le Sage, et transformée de-
puis sous la truelle capricieuse des restaurateurs. Badajoz ne compte
guère moins de vingt mille habitants, et se flatte avec raison d'avoir eu
des enfants illustres, parmi lesquels le peintre Luis de Morales, mort
en 1586.
Je n'ai pu traverser Badajoz sans donner un souvenir de regrets
bien vifs au docteur Dardare, enlevé prématurément aux sciences médi-
cales qu'il cultivait avec zèle, et qui, pendant trois années de séjour
à Cadix et Badajoz (1823-1825), n'a cessé de correspondre avec moi de
la manière la plus suivie. Ce souvenir, véritable halte que mon imagi-
nation faisait dans le passé, me préoccupa jusqu'à Mérida; il me semblait
retrouver un pays où j'avais longtemps vécu, dont je connaissais les
roches, les insectes et les plantes, dont j'avais respiré l'air et dont je com-
prenais la langue exceptionnelle. Pour m'arracher à moi-même, il ne
fallut rien moins que les ruines importantes de YEmerita Augusla.
J'aurais bien voulu passer vingt-quatre heures parmi toutes ces pompes
d'autrefois, réunies avec tant de magnificence dans la vieille capitale de
la Lusitanie; m'appuyer sur les parapets du pont de Trajan, m'asseoir
vis-à-vis l'arc triomphal du même empereur; parcourir l'emplacement
du forum, des murailles capitoliennes, de l'Amphithéâtre, de la Nau-
machie; voir la basilique chrétienne substituée au temple païen, et
constater ensuite les travaux à l'aide desquels fut creusé le lac de Proser-
pine ou de la Charca; mais le majorai est comme la mort dont parle
Malherbe, il témoigne une rigueur à nulle autre pareille : quelles que
soient les merveilles qu'on rencontre, on n'a que le temps de les saluer
et de passer outre.
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forêts, bruyères plus vastes encore, villes pauvres et petites, villages
très-distancés; mais par intervalle quelques plaines magnifiques, quel-
ques sites enchanteurs, surtout le long du Tage et de la Guadiana.
La ville épiscopale et militaire de Badajoz, ville triste et sombre,
malgré l'éclat du ciel , sans commerce, presque sans industrie ,
quoiqu'elle soit le nœud de jonction des deux royaumes, sert de capi-
tale à l'Estramadure. Elle possède un beau pont de dix-huit arches sur
la Guadiana; un château mauresque qui tombe en ruines; une enceinte
également mauresque à laquelle sont ajoutés de formidables bastions;
une cathédrale massive fondée par Alonso le Sage, et transformée de-
puis sous la truelle capricieuse des restaurateurs. Badajoz ne compte
guère moins de vingt mille habitants, et se flatte avec raison d'avoir eu
des enfants illustres, parmi lesquels le peintre Luis de Morales, mort
en 1586.
Je n'ai pu traverser Badajoz sans donner un souvenir de regrets
bien vifs au docteur Dardare, enlevé prématurément aux sciences médi-
cales qu'il cultivait avec zèle, et qui, pendant trois années de séjour
à Cadix et Badajoz (1823-1825), n'a cessé de correspondre avec moi de
la manière la plus suivie. Ce souvenir, véritable halte que mon imagi-
nation faisait dans le passé, me préoccupa jusqu'à Mérida; il me semblait
retrouver un pays où j'avais longtemps vécu, dont je connaissais les
roches, les insectes et les plantes, dont j'avais respiré l'air et dont je com-
prenais la langue exceptionnelle. Pour m'arracher à moi-même, il ne
fallut rien moins que les ruines importantes de YEmerita Augusla.
J'aurais bien voulu passer vingt-quatre heures parmi toutes ces pompes
d'autrefois, réunies avec tant de magnificence dans la vieille capitale de
la Lusitanie; m'appuyer sur les parapets du pont de Trajan, m'asseoir
vis-à-vis l'arc triomphal du même empereur; parcourir l'emplacement
du forum, des murailles capitoliennes, de l'Amphithéâtre, de la Nau-
machie; voir la basilique chrétienne substituée au temple païen, et
constater ensuite les travaux à l'aide desquels fut creusé le lac de Proser-
pine ou de la Charca; mais le majorai est comme la mort dont parle
Malherbe, il témoigne une rigueur à nulle autre pareille : quelles que
soient les merveilles qu'on rencontre, on n'a que le temps de les saluer
et de passer outre.