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Bégin, Émile Auguste Nicolas Jules; Rouargue, Émile [Ill.]; Rouargue, Adolphe [Ill.]
Voyage pittoresque en Espagne et en Portugal — Paris: Belin-Leprieur et Morizot, éditeurs, 1852

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https://doi.org/10.11588/diglit.70977#0122

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VOYAGE EN ESPAGNE.
terribles : sa peau ressemblait à l'arbre où Robinson marquait, moyen-
nant de fortes entailles, la succession des années. Ce gentilhomme,
porteur de moustaches relevées jusqu'aux yeux, d'immenses bottes à
l'écuyère et d'une épée de Tolède aussi longue qu'une broche, était exces-
sivement jaloux de ses privilèges ou plutôt des privilèges de l'Alcazar,
ancienne résidence royale et domaine de la couronne; aussi le cor-
régidor de Ségovie souffrait-il avec beaucoup d'impatience cette es-
pèce d'imperium in imperio. Mais les conflits fréquents de nos deux
petits potentats avaient plus souvent leur source dans l'humeur acre
et violente de l'invalide, qui prenait feu sur la moindre question de
préséance, et dans l'obligation où se trouvait le corrégidor, de sur-
veiller, d'arrêter certain commerce frauduleux dont ce gentilhomme
contrebandier ne se faisait pas faute. De l'un des bastions de son
Alcazar, le gouverneur planait sur l'hôtel de ville, ou palais du cor-
régidor : pas un mouvement, pas une démarche de l'officier civil ne
lui échappaient : il faisait là sa promenade favorite et tenait incessam-
ment l'œil ouvert sur son rival, comme du haut des rochers un
épervier sur sa proie. Chaque fois qu'il descendait en ville, c'était
à cheval en grande pompe, précédé de coureurs, suivi d'une longue
escorte de gardes et d'estafiers, au moyen desquels il se flattait d'im-
poser considérablement aux Ségoviens, qui ne voyaient en lui qu'un
chef de voleurs. Un jour, cependant, la religion de son excellence le
corrégidor s'alarma; sa tolérance fut à bout. Il prit conseil d'un adroit
et rusé greffier, son factotum, son bras droit, qui toujours enchanté
detrouver l'occasion de susciter des embarras au vieux tyran de l'Al-
cazar et de le jeter dans un idéal de subtilités judiciaires, conseilla
fortement au corrégidor de revendiquer, pour l'avenir, le droit de visite
sur tout convoi qui traverserait la ville. En conséquence une lettre
officielle fut écrite clans ce sens au gouverneur. « Oh! oh! dit alors,
en redressant sa moustache, l'homme de guerre qui détestait cordiale-
ment tous les gens de robe, mais surtout ceux-ci, le magistrat vou-
drait-il mettre à mes trousses son greffier? Je lui ferai voir qu'un vieux
cavalier comme moi n'est pas de ceux qu'on intimide avec des grimoi-
res;» et sans discuter la légalité de la mesure, il fulmina l'anathème
du sabre contre quiconque oserait porter un main téméraire sur les
 
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