116 VOYAGE EN ESPAGNE. .
toute 1 attitude indépendante d'un gouvernement républicain. Barrière
placée entre le pouvoir municipal et le pouvoir royal, sentinelle avan-
cée veillant sur les droits de tous, le justicia mayor, d'une main rete-
nait le trône au penchant des abîmes que creusent les révolutions
populaires, tandis que de l'autre il arrêtait les empiétements des rois.
Il pouvait éloigner temporairement, ou bien pour toujours, les minis-
tres et les grands officiers de la couronne. Il citait, quand il le croyait
utile, le monarque lui-même devant les États; il le sommait de rendre
compte de sa conduite, et déclarait sa déchéance, s'il avait transgressé
les droits fors jurés en montant sur le trône. Quoique signant tout, le
justicia mayor n'était justiciable de personne. Une autorité si grande
devait, tôt ou tard, trouver dans son omnipotence le motif de sa ruine.
Il lui arriva souvent de se tromper, d'outrepasser les limites de la raison
et du droit légal; dès lors son autorité morale déclina. En 1467, les
États de Saragosse avaient arrêté déjà que chaque année le justicia
mayor rendrait compte de ses actes aux cortès assemblés. C'en était
fait de sa suprématie dictatoriale, et cent années ne s'écoulèrent pas
sans que la tête du dernier justicia mayor ne tombât aux pieds de
Philippe II, qui n'entendait pas rencontrer d'obstacle à l'exercice de
ses volontés.
SARAGOSSE.
Les deux amis lui demandèrent ou il avait résolu
de porter ses pas, — A Saragosse, répondit don
Quichotte, pour assister aux joutes des harnais qui
ont lieu dans cette ville tous les ans.
Don Quichotte, liv. II, chap. ix.
Quelle ville n'a pas eu des jours de deuil entremêlés de jours de
gloire? Et quelle ville, muette cinquante semaines de l'année, ne pro-
fère, au moins pendant quinze jours, des cris d'allégresse? Saragosse
avait pris ses habits d'apparat quand, pour la première fois, mon
heureuse étoile m'y conduisit. Ce matin-là, car c'était un matin, sa
voix chantait; ses lèvres, trop souvent immobiles, faisaient retentir
les airs de couplets nationaux; deux énormes géants, accompagnés de
leur famille, se promenaient par les rues, au bruit des cloches , des
toute 1 attitude indépendante d'un gouvernement républicain. Barrière
placée entre le pouvoir municipal et le pouvoir royal, sentinelle avan-
cée veillant sur les droits de tous, le justicia mayor, d'une main rete-
nait le trône au penchant des abîmes que creusent les révolutions
populaires, tandis que de l'autre il arrêtait les empiétements des rois.
Il pouvait éloigner temporairement, ou bien pour toujours, les minis-
tres et les grands officiers de la couronne. Il citait, quand il le croyait
utile, le monarque lui-même devant les États; il le sommait de rendre
compte de sa conduite, et déclarait sa déchéance, s'il avait transgressé
les droits fors jurés en montant sur le trône. Quoique signant tout, le
justicia mayor n'était justiciable de personne. Une autorité si grande
devait, tôt ou tard, trouver dans son omnipotence le motif de sa ruine.
Il lui arriva souvent de se tromper, d'outrepasser les limites de la raison
et du droit légal; dès lors son autorité morale déclina. En 1467, les
États de Saragosse avaient arrêté déjà que chaque année le justicia
mayor rendrait compte de ses actes aux cortès assemblés. C'en était
fait de sa suprématie dictatoriale, et cent années ne s'écoulèrent pas
sans que la tête du dernier justicia mayor ne tombât aux pieds de
Philippe II, qui n'entendait pas rencontrer d'obstacle à l'exercice de
ses volontés.
SARAGOSSE.
Les deux amis lui demandèrent ou il avait résolu
de porter ses pas, — A Saragosse, répondit don
Quichotte, pour assister aux joutes des harnais qui
ont lieu dans cette ville tous les ans.
Don Quichotte, liv. II, chap. ix.
Quelle ville n'a pas eu des jours de deuil entremêlés de jours de
gloire? Et quelle ville, muette cinquante semaines de l'année, ne pro-
fère, au moins pendant quinze jours, des cris d'allégresse? Saragosse
avait pris ses habits d'apparat quand, pour la première fois, mon
heureuse étoile m'y conduisit. Ce matin-là, car c'était un matin, sa
voix chantait; ses lèvres, trop souvent immobiles, faisaient retentir
les airs de couplets nationaux; deux énormes géants, accompagnés de
leur famille, se promenaient par les rues, au bruit des cloches , des