L'ARAGON.
135
prose. Ils sont libres, francs, animés, variés de coupe, assez sobres
de ces amplifications poétiques auxquelles la facilité de leur prosodie
entraîne trop souvent les Méridionaux. Son dialogue en prose semble
imité des mélodrames modernes français et pèche par la lourdeur et
l'emphase. Les Amants de Teruel, avec tous leurs défauts, sont une
œuvre littéraire bien supérieure à ces traductions arrangées ou déran-
gées de nos pièces du boulevard, qui inondent aujourd'hui les théâtres
de la Péninsule. On y sent l'étude des anciens romans et des maîtres de
la scène espagnole, et il serait à désirer que les jeunes poètes d'au delà
des monts entrassent dans cette voie, plutôt que de perdre leur temps
à mettre d'affreux mélodrames en castillan plus ou moins légitime. »
(Théophile Gauthier.)
A tout saint, tout honneur! Nous avons voulu, ne pouvant mieux
faire, copier in extenso l'analyse de notre brillant feuilletoniste parisien,
et commencer l'article Teruel par l'exposé d'une pièce dramatique qui
vient de raviver la gloire de cette ville; mais il s'en faut bien qu'elle
soit la seule qu'aient inspirée Isabelle de Segura et Juan Diego de Mar-
cilla. Morts en 1708, ils furent inhumés dans le cloître de San-Pedro,
et depuis lors, il n'est peut-être pas un écolier d'université qui n'ait
rêvé quelques vers à leur louange, pas un auteur dramatique qui,
pour se conformer à l'engouement du public, n'ait esquissé quelques
scènes dont les romanesques héros de Teruel font les frais.
Dans la même église, j'avais vu du peintre Valencien Antonio Bisquert
une sainte Thérèse et un saint Joachim traités d'une manière habile,
vigoureuse, mais avec l'exagération des naturistes espagnols; je fus
ensuite à la cathédrale examiner son œuvre la plus importante, les
Onze mille Vierges, et je finis ma pérégrination par le Christ mort, du
même peintre, exposé dans le sanctuaire de Santiago. C'est un artiste
de troisième ordre, mais dont les ouvrages conservent de la valeur,
parce qu'ils ne sont pas communs. Il mourut jeune, en 1646, des cha-
grins que lui causa la préférence donnée à un autre peintre pour exé-
cuter, dans la cathédrale, l'Adoration des Mages.
Je le dis sans détour, avec quelque amour-propre national, les plus
belles choses qui soient à Teruel proviennent de deux artistes français
contemporains, Gabriel Yoly et Pierre Bedely. Entre les années 1535 et
135
prose. Ils sont libres, francs, animés, variés de coupe, assez sobres
de ces amplifications poétiques auxquelles la facilité de leur prosodie
entraîne trop souvent les Méridionaux. Son dialogue en prose semble
imité des mélodrames modernes français et pèche par la lourdeur et
l'emphase. Les Amants de Teruel, avec tous leurs défauts, sont une
œuvre littéraire bien supérieure à ces traductions arrangées ou déran-
gées de nos pièces du boulevard, qui inondent aujourd'hui les théâtres
de la Péninsule. On y sent l'étude des anciens romans et des maîtres de
la scène espagnole, et il serait à désirer que les jeunes poètes d'au delà
des monts entrassent dans cette voie, plutôt que de perdre leur temps
à mettre d'affreux mélodrames en castillan plus ou moins légitime. »
(Théophile Gauthier.)
A tout saint, tout honneur! Nous avons voulu, ne pouvant mieux
faire, copier in extenso l'analyse de notre brillant feuilletoniste parisien,
et commencer l'article Teruel par l'exposé d'une pièce dramatique qui
vient de raviver la gloire de cette ville; mais il s'en faut bien qu'elle
soit la seule qu'aient inspirée Isabelle de Segura et Juan Diego de Mar-
cilla. Morts en 1708, ils furent inhumés dans le cloître de San-Pedro,
et depuis lors, il n'est peut-être pas un écolier d'université qui n'ait
rêvé quelques vers à leur louange, pas un auteur dramatique qui,
pour se conformer à l'engouement du public, n'ait esquissé quelques
scènes dont les romanesques héros de Teruel font les frais.
Dans la même église, j'avais vu du peintre Valencien Antonio Bisquert
une sainte Thérèse et un saint Joachim traités d'une manière habile,
vigoureuse, mais avec l'exagération des naturistes espagnols; je fus
ensuite à la cathédrale examiner son œuvre la plus importante, les
Onze mille Vierges, et je finis ma pérégrination par le Christ mort, du
même peintre, exposé dans le sanctuaire de Santiago. C'est un artiste
de troisième ordre, mais dont les ouvrages conservent de la valeur,
parce qu'ils ne sont pas communs. Il mourut jeune, en 1646, des cha-
grins que lui causa la préférence donnée à un autre peintre pour exé-
cuter, dans la cathédrale, l'Adoration des Mages.
Je le dis sans détour, avec quelque amour-propre national, les plus
belles choses qui soient à Teruel proviennent de deux artistes français
contemporains, Gabriel Yoly et Pierre Bedely. Entre les années 1535 et