168 VOYAGE EN ESPAGNE.
manque, et deux demoiselles non mariées, dont une légèrement incom-
modée mais jolie, personne aussi bonne que spirituelle et sensée; et une
brue, madame Montfort, fort bien conservée, quoiqu'elle eût une fille de
douze ans, mademoiselle Mercedès, qui promettait pour l'avenir. 11 n'est
sorte d'honnêtes procédés, de soins attentifs dont je n'aie été l'objet dans
cet hospitalier quarto. Mes aimables hôtesses étaient un peu musiciennes.
Elles réunissaient leurs parents, leurs amis intimes au nombre desquels
on voulait bien m'admettre, et peu de semaines se passaient sans qu'ilyeût
tertulia. L'hôtel, extrêmement vaste, ayant plusieurs salons, se trouvait,
au reste, très-bien disposé pour cela. Je ne pouvais aller chez moi sans
traverser le salon d'attente; et comme la porte qui communiquait avec
le salon de conversation demeurait constamment ouverte, je n'aurais
pu même, sans inconvenance, me borner à saluer et passer outre. J'étais
donc devenu membre de la famille. Mon petit appartement, muni d'une
fenêtre assez large avec balcon, au premier, dominait une grande place,
et j'avais en vis-à-vis un couvent de carmes très-nombreux, dont les voix
retentissantes et les cloches babillardes brisaient chaque matin la chaîne
de mes rêves. Des rêves de vingt ans; c'est un tissu d'or et de soie.
La société la plus joyeuse, la plus aimable, animait alors Barcelone;
madame la duchesse de Frias, éminemment belle, y tenait le sceptre du
bon ton. Le capitaine général, petit vieillard très-vif, portant sur sa
tête le duvet aristocratique du dernier siècle, donnait des fêtes char-
mantes, auxquelles répondait le comte de Reizet, notre général en chef,
par des fêtes non moins belles. Le consul d'Angleterre recevait aussi
fort bien. Pour généraux subdivisionnaires nous avions le général
Castellane, dont le nom a grandi depuis; le général Rapatel, mort
l'année dernière à Paris; pour intendant militaire le baron de Sermet.
Entre tous les hauts fonctionnaires existait une harmonie parfaite qui,
rejaillissant sur les subordonnés, rendait fort douce l'existence de
chacun.
Ce fut pendant mon séjour à Barcelone que le célèbre docteur Cher-
vin, l'anti-contagionniste, traversa cette ville. Notre corps médical lui
donna un dîner splendide, et je me rappelle avoir absorbé, au profit de
mon amour-propre, une partie des honneurs de la soirée, moyennant
quelques couplets de circonstance dont la jolie voix d'un pharmacien,
manque, et deux demoiselles non mariées, dont une légèrement incom-
modée mais jolie, personne aussi bonne que spirituelle et sensée; et une
brue, madame Montfort, fort bien conservée, quoiqu'elle eût une fille de
douze ans, mademoiselle Mercedès, qui promettait pour l'avenir. 11 n'est
sorte d'honnêtes procédés, de soins attentifs dont je n'aie été l'objet dans
cet hospitalier quarto. Mes aimables hôtesses étaient un peu musiciennes.
Elles réunissaient leurs parents, leurs amis intimes au nombre desquels
on voulait bien m'admettre, et peu de semaines se passaient sans qu'ilyeût
tertulia. L'hôtel, extrêmement vaste, ayant plusieurs salons, se trouvait,
au reste, très-bien disposé pour cela. Je ne pouvais aller chez moi sans
traverser le salon d'attente; et comme la porte qui communiquait avec
le salon de conversation demeurait constamment ouverte, je n'aurais
pu même, sans inconvenance, me borner à saluer et passer outre. J'étais
donc devenu membre de la famille. Mon petit appartement, muni d'une
fenêtre assez large avec balcon, au premier, dominait une grande place,
et j'avais en vis-à-vis un couvent de carmes très-nombreux, dont les voix
retentissantes et les cloches babillardes brisaient chaque matin la chaîne
de mes rêves. Des rêves de vingt ans; c'est un tissu d'or et de soie.
La société la plus joyeuse, la plus aimable, animait alors Barcelone;
madame la duchesse de Frias, éminemment belle, y tenait le sceptre du
bon ton. Le capitaine général, petit vieillard très-vif, portant sur sa
tête le duvet aristocratique du dernier siècle, donnait des fêtes char-
mantes, auxquelles répondait le comte de Reizet, notre général en chef,
par des fêtes non moins belles. Le consul d'Angleterre recevait aussi
fort bien. Pour généraux subdivisionnaires nous avions le général
Castellane, dont le nom a grandi depuis; le général Rapatel, mort
l'année dernière à Paris; pour intendant militaire le baron de Sermet.
Entre tous les hauts fonctionnaires existait une harmonie parfaite qui,
rejaillissant sur les subordonnés, rendait fort douce l'existence de
chacun.
Ce fut pendant mon séjour à Barcelone que le célèbre docteur Cher-
vin, l'anti-contagionniste, traversa cette ville. Notre corps médical lui
donna un dîner splendide, et je me rappelle avoir absorbé, au profit de
mon amour-propre, une partie des honneurs de la soirée, moyennant
quelques couplets de circonstance dont la jolie voix d'un pharmacien,