VOYAGE EN ESPAGNE.
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frapper plus d'un coup pour délivrer le querelleur; mais quand cela
arrive, la position de ce dernier devient fort critique; l'ours, une fois
frappé, devient plus furieux , et même lorsqu'il tombe sur le coup, une
convulsion, un mouvement de ses deux pattes de derrière peut mettre
le chasseur en pièces. Ce cas a été prévu; le querelleur ne lâche l'ours
que lorsqu'il entend le coup de sifflet de son compagnon, lequel an-
nonce que l'ours n'a plus de mouvement; jusqu'alors le querelleur se
tient étroitement serré contre la poitrine de l'animal; et dès que l'ours
est tombé, les deux jambes de son adversaire lui pressant les flancs, le
chasseur reste assis sur les cuisses de l'ours, de manière à prévenir ses
moindres mouvements. Tant qu'il n'a pas entendu le coup de sifflet, le
querelleur conserve la position que nous venons de décrire, et que nos
lecteurs comprendront facilement. Il doit se rouler avec l'ours, se coller
à lui, et jusqu'au moment de sa mort ne plus s'en séparer. Cette lutte,est
horrible. Cependant, il est des Asturiens qui la répètent cinq ou six fois
par semaine, et même plusieurs fois par jour, depuis leur jeunesse, sans
avoir reçu la moindre égratignure. Demandez leur si jamais l'un d'eux
a péri dans cette chasse; ils vous répondront : — « Oui !... Fabio Orduüo.
Pourtant il était brave; il savait chercher querelle à un ours aussi bien
et mieux que le plus adroit; mais il ne croyait pas beaucoup à Dieu ni
aux saints. Certain jour il part pour la montagne; un ours magnifique
tombe dans ses bras; mais au lieu de tuer l'ours, ce fut l'ours qui le tua.
La bête broya la tête du chasseur entre ses dents... Le soir, quand
Fabio Orduüo fut rapporté mort dans le village, chacun se prit à le re-
gretter et le plaindre; mais le lendemain, lorsqu'on voulut l'ensevelir
dans l'habit de saint François, M. le curé remarqua qu'il n'avait pas sur
lui la médaille de Notre-Dame de la Covadonga. Dès lors il comprit
pourquoi le chasseur avait été dévoré. » — Le récit de ce douloureux
événement a fait l'objet d'une légende rimée en vieux castillan, que l'on
chante le soir après l'Angélus, et qui a fait vendre au curé de Covadohga
autant de médailles qu'il y a de chasseurs d'ours dans les Asturies et la
Galice. Voici la légende :
Fabio Orduüo était un chef brave et vaillant. Il chassait l'ours, le
renard, le sanglier, et bien d'autres bêtes encore!
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frapper plus d'un coup pour délivrer le querelleur; mais quand cela
arrive, la position de ce dernier devient fort critique; l'ours, une fois
frappé, devient plus furieux , et même lorsqu'il tombe sur le coup, une
convulsion, un mouvement de ses deux pattes de derrière peut mettre
le chasseur en pièces. Ce cas a été prévu; le querelleur ne lâche l'ours
que lorsqu'il entend le coup de sifflet de son compagnon, lequel an-
nonce que l'ours n'a plus de mouvement; jusqu'alors le querelleur se
tient étroitement serré contre la poitrine de l'animal; et dès que l'ours
est tombé, les deux jambes de son adversaire lui pressant les flancs, le
chasseur reste assis sur les cuisses de l'ours, de manière à prévenir ses
moindres mouvements. Tant qu'il n'a pas entendu le coup de sifflet, le
querelleur conserve la position que nous venons de décrire, et que nos
lecteurs comprendront facilement. Il doit se rouler avec l'ours, se coller
à lui, et jusqu'au moment de sa mort ne plus s'en séparer. Cette lutte,est
horrible. Cependant, il est des Asturiens qui la répètent cinq ou six fois
par semaine, et même plusieurs fois par jour, depuis leur jeunesse, sans
avoir reçu la moindre égratignure. Demandez leur si jamais l'un d'eux
a péri dans cette chasse; ils vous répondront : — « Oui !... Fabio Orduüo.
Pourtant il était brave; il savait chercher querelle à un ours aussi bien
et mieux que le plus adroit; mais il ne croyait pas beaucoup à Dieu ni
aux saints. Certain jour il part pour la montagne; un ours magnifique
tombe dans ses bras; mais au lieu de tuer l'ours, ce fut l'ours qui le tua.
La bête broya la tête du chasseur entre ses dents... Le soir, quand
Fabio Orduüo fut rapporté mort dans le village, chacun se prit à le re-
gretter et le plaindre; mais le lendemain, lorsqu'on voulut l'ensevelir
dans l'habit de saint François, M. le curé remarqua qu'il n'avait pas sur
lui la médaille de Notre-Dame de la Covadonga. Dès lors il comprit
pourquoi le chasseur avait été dévoré. » — Le récit de ce douloureux
événement a fait l'objet d'une légende rimée en vieux castillan, que l'on
chante le soir après l'Angélus, et qui a fait vendre au curé de Covadohga
autant de médailles qu'il y a de chasseurs d'ours dans les Asturies et la
Galice. Voici la légende :
Fabio Orduüo était un chef brave et vaillant. Il chassait l'ours, le
renard, le sanglier, et bien d'autres bêtes encore!