VOYAGE EN ESPAGNE.
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son crépuscule, éclairait encore la ville et la cour : malgré la sombre
étiquette, malgré la dévotion sévère, exagérée qui commençait d'envahir
les hautes classes, malgré l'hypocrite cruauté des inquisiteurs qui ré-
gnaient en Espagne plus que le roi ne régnait lui-même, cette ville
rivalisait de somptuosité, de mouvement et d'éclat. Sous Philippe III,
sous Philippe IV, Madrid demeura brillant, mais ce fut d'un éclat factice
qui cachait une profonde misère. Le règne si mesquin de Charles II, la
guerre de succession mirent le comble à sa détresse; enfin un soleil répa-
rateur apparut; Charles III raviva toutes les forces épuisées, cultiva tous
les germes, féconda toutes les semences. Il ouvrit l'ère nouvelle où
marcha Ferdinand VII avec un talent administratif, avec une finesse,
une ténacité méconnus en Europe.
Depuis trois siècles, Madrid a perdu ce que ses environs lui prêtaient
de charme harmonieusement agreste; mais c'est toujours une belle cité,
une ville riche, majestueuse, élégante, animée. Quoique isolée, au milieu
d'un désert, elle possède environ trois mille arbres, fort bien venus, qui
étalent leur verdure le long du Mançanarès, dans les allées du Prado et
d'Isabelle II, aux Délices, à la Virgen del Puerto, et sur les bords d'un
canal commencé depuis cent ans, qui peut-être ne sera jamais fini. Au
commencement du siècle, la campagne madrilénienne offrait un aspect
beaucoup plus triste qu'aujourd'hui. Quelque fût le point de vue qu'on
choisît, il était impossible de découvrir deux ou trois villages; l'œil
s'égarait à travers les champs, à travers les ruines. Mais, depuis quelques
années, cet état de choses s'est considérablement amélioré; des maisons
de campagne, des manufactures, des villages, même considérables,
sont venus se grouper autour de la ville et lui donner des abords moins
arides.
Située presque au centre de l'Espagne, sur plusieurs collines inégales,
rapprochées à leur base, Madrid possède neuf mille maisons divisées en
districts et paroisses, et deux cent soixante-trois mille habitants. Elle a
soixante-dix places, cinq cents rues, cinq portes monumentales, qua-
rante fontaines publiques, une enceinte murée, de magnifiques hôtels et
quelques édifices remarquables, mais presque tous modernes. Qui l'au-
rait lue en 1808, quand les escadrons de Joachim Murat balayaient ses
bculevards, qui la verrait aujourd'hui ne la reconnaîtrait plus.
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son crépuscule, éclairait encore la ville et la cour : malgré la sombre
étiquette, malgré la dévotion sévère, exagérée qui commençait d'envahir
les hautes classes, malgré l'hypocrite cruauté des inquisiteurs qui ré-
gnaient en Espagne plus que le roi ne régnait lui-même, cette ville
rivalisait de somptuosité, de mouvement et d'éclat. Sous Philippe III,
sous Philippe IV, Madrid demeura brillant, mais ce fut d'un éclat factice
qui cachait une profonde misère. Le règne si mesquin de Charles II, la
guerre de succession mirent le comble à sa détresse; enfin un soleil répa-
rateur apparut; Charles III raviva toutes les forces épuisées, cultiva tous
les germes, féconda toutes les semences. Il ouvrit l'ère nouvelle où
marcha Ferdinand VII avec un talent administratif, avec une finesse,
une ténacité méconnus en Europe.
Depuis trois siècles, Madrid a perdu ce que ses environs lui prêtaient
de charme harmonieusement agreste; mais c'est toujours une belle cité,
une ville riche, majestueuse, élégante, animée. Quoique isolée, au milieu
d'un désert, elle possède environ trois mille arbres, fort bien venus, qui
étalent leur verdure le long du Mançanarès, dans les allées du Prado et
d'Isabelle II, aux Délices, à la Virgen del Puerto, et sur les bords d'un
canal commencé depuis cent ans, qui peut-être ne sera jamais fini. Au
commencement du siècle, la campagne madrilénienne offrait un aspect
beaucoup plus triste qu'aujourd'hui. Quelque fût le point de vue qu'on
choisît, il était impossible de découvrir deux ou trois villages; l'œil
s'égarait à travers les champs, à travers les ruines. Mais, depuis quelques
années, cet état de choses s'est considérablement amélioré; des maisons
de campagne, des manufactures, des villages, même considérables,
sont venus se grouper autour de la ville et lui donner des abords moins
arides.
Située presque au centre de l'Espagne, sur plusieurs collines inégales,
rapprochées à leur base, Madrid possède neuf mille maisons divisées en
districts et paroisses, et deux cent soixante-trois mille habitants. Elle a
soixante-dix places, cinq cents rues, cinq portes monumentales, qua-
rante fontaines publiques, une enceinte murée, de magnifiques hôtels et
quelques édifices remarquables, mais presque tous modernes. Qui l'au-
rait lue en 1808, quand les escadrons de Joachim Murat balayaient ses
bculevards, qui la verrait aujourd'hui ne la reconnaîtrait plus.