VOYAGE EN ESPAGNE.
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entend le refrain de la romance suivante, aussi vieille, plus vieille peut-
être que la monarchie espagnole :
Mala la visteis, Franceses,
La caza de Roncesvalles L
Pendant la guerre de l'indépendance, six mille Basques et Navarrais,
que dirigeait Mina, ont tenu longtemps en échec trente mille hommes
de troupes excellentes. Zumalacaregui, né parmi eux, a renouvelé les
prouesses de Mina. Soldat soumis tant qu'il faut combattre, le Basque
devient déserteur dès que la lutte cesse. Aucune puissance au monde
ne l'empêcherait alors de courir embrasser sa vieille mère, ses en-
fants, sa femme, ses amis; mais le lendemain, si le canon gronde, si
la trompette sonne, il reparaît.
On voit les femmes basques, jambes nues, faire plusieurs lieues avec
d'énormes charges sur la tête, qu'elles maintiennent en équilibre dans
de hautes corbeilles ou moyennant des volettes circulaires; on voit les
hommes, beaucoup plus heureux, du moins en apparence, transporter
leurs produits dans un panier double appelé cacolet, dont ils chargent
les mules, et qui peut supporter deux personnes. C'est assurément le
mode de locomotion le plus agréable pour la montagne. On s'y trouve
beaucoup mieux qu'en voiture. J'ai fait de la sorte un trajet de dix
lieues, depuis Tolosa jusqu'à la fameuse vallée de Roncevaux, Ronces-
valles, où j'étais recommandé, d'une manière spéciale, à l'un des plus
riches bergers du pays, qui me reçut avec la touchante bonhomie du
vieil âge.
Après un repas composé de lait, de châtaignes et de fromage, pris à
terre sur une large natte; après avoir bu cinq ou six fois le premier et
passé le vase de ma bouche à celle des autres convives, après avoir satis-
fait la curiosité naïve de chacun en parlant des grandes guerres de
l'empereur Napoléon, dont l'image brillait attachée avec l'image de la
Vierge et celle de Ferdinand VII au foyer domestique, mon hôte prit une
guitare à trois cordes, et me demanda si je connaissais Chabolatigui:
« Chabolatigui, repris-je, non, vraiment; qui est-il? — Hélas! plus rien
aujourd'hui qu'un peu de poussière; mais autrefois, dans ma jeunesse,
1 Vous eûtes mauvaise journée, Français, à Roncevaux.
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entend le refrain de la romance suivante, aussi vieille, plus vieille peut-
être que la monarchie espagnole :
Mala la visteis, Franceses,
La caza de Roncesvalles L
Pendant la guerre de l'indépendance, six mille Basques et Navarrais,
que dirigeait Mina, ont tenu longtemps en échec trente mille hommes
de troupes excellentes. Zumalacaregui, né parmi eux, a renouvelé les
prouesses de Mina. Soldat soumis tant qu'il faut combattre, le Basque
devient déserteur dès que la lutte cesse. Aucune puissance au monde
ne l'empêcherait alors de courir embrasser sa vieille mère, ses en-
fants, sa femme, ses amis; mais le lendemain, si le canon gronde, si
la trompette sonne, il reparaît.
On voit les femmes basques, jambes nues, faire plusieurs lieues avec
d'énormes charges sur la tête, qu'elles maintiennent en équilibre dans
de hautes corbeilles ou moyennant des volettes circulaires; on voit les
hommes, beaucoup plus heureux, du moins en apparence, transporter
leurs produits dans un panier double appelé cacolet, dont ils chargent
les mules, et qui peut supporter deux personnes. C'est assurément le
mode de locomotion le plus agréable pour la montagne. On s'y trouve
beaucoup mieux qu'en voiture. J'ai fait de la sorte un trajet de dix
lieues, depuis Tolosa jusqu'à la fameuse vallée de Roncevaux, Ronces-
valles, où j'étais recommandé, d'une manière spéciale, à l'un des plus
riches bergers du pays, qui me reçut avec la touchante bonhomie du
vieil âge.
Après un repas composé de lait, de châtaignes et de fromage, pris à
terre sur une large natte; après avoir bu cinq ou six fois le premier et
passé le vase de ma bouche à celle des autres convives, après avoir satis-
fait la curiosité naïve de chacun en parlant des grandes guerres de
l'empereur Napoléon, dont l'image brillait attachée avec l'image de la
Vierge et celle de Ferdinand VII au foyer domestique, mon hôte prit une
guitare à trois cordes, et me demanda si je connaissais Chabolatigui:
« Chabolatigui, repris-je, non, vraiment; qui est-il? — Hélas! plus rien
aujourd'hui qu'un peu de poussière; mais autrefois, dans ma jeunesse,
1 Vous eûtes mauvaise journée, Français, à Roncevaux.