L'EAU. 239
les conduits et les fontaines de Saint-Ildefonse ; imitation des merveilles
de Versailles.
Cet article sur l'eau, nous l'avons commencé à Grenade, au bruit de
la cloche de l'Alhambra, donnant le signal des irrigations urbaines;
nous le terminons à Valence, au bruit d'une cloche analogue, la Vêla,
qui occupe la tour épiscopale del Miguelete; nous réunissons ainsi, dans
l'expansion du même besoin, deux époques bien éloignées l'une de l'au-
tre, deux civilisations bien différentes, la mauresque du moyen âge et
l'espagnole du dix-neuvième siècle.
A l'instant même, nous lisons dans les Mémoires d'Alexandre Du-
mas le récit d'une aventure de campagne arrivée au père de M. Victor
Hugo, lorsqu'il guerroyait en Espagne; aventure qui eut l'eau pour
principe et pour fin : « Un jour, le général Ilugo arrive, avec une cen-
taine d'hommes, près d'un village situé sur une des mille petites rivières
qui affluent dans le Tage. Pour ne pas donner une alarme inutile, il
entre dans le village avec deux aides de camp seulement afin d'obtenir
des habitants quelques renseignements dont il avait besoin. Il venait de
son camp, composé de cinq ou six mille hommes à peu près, et situé
une lieue au-dessous, en aval de la rivière. Pour avoir les renseigne-
ments qu'il désirait, il s'adresse au propriétaire d'une grande raffinerie
de sucre, lequel, le voyant avec deux aides de camp seulement, reste
complètement muet. Le général Hugo avait soif. Ne pouvant avoir les
renseignements, il désira au moins se rafraîchir et demanda un verre
d'eau. « De l'eau! dit le propriétaire de la raffinerie; il y en a à la
rivière. » Et il ferma sa porte au nez du général. Le général attendit
un instant pour voir si la porte ne se rouvrirait pas. Au lieu de la porte,
ce fut une fenêtre qui s'ouvrit. Un canon de fusil se montra sournoise-
ment; un coup de feu se fit entendre et une balle siffla. Au bruit du
coup de feu, le détachement resté hors de la ville accourut. Lorsque les
soldats surent ce qui venait de se passer, ils voulaient démolir la su-
crerie et brûler le village. Le général Hugo les arrêta. Puis, s'adressant
à son officier d'ordonnance : « Cours au camp, lui dit-il, et invite de
ma part les six mille hommes qui le composent à boire de l'eau sucrée;
ce sera une douceur, et il y a longtemps que les pauvres diables n'en
ont eu. » Une des qualités de l'époque impériale était de comprendre
les conduits et les fontaines de Saint-Ildefonse ; imitation des merveilles
de Versailles.
Cet article sur l'eau, nous l'avons commencé à Grenade, au bruit de
la cloche de l'Alhambra, donnant le signal des irrigations urbaines;
nous le terminons à Valence, au bruit d'une cloche analogue, la Vêla,
qui occupe la tour épiscopale del Miguelete; nous réunissons ainsi, dans
l'expansion du même besoin, deux époques bien éloignées l'une de l'au-
tre, deux civilisations bien différentes, la mauresque du moyen âge et
l'espagnole du dix-neuvième siècle.
A l'instant même, nous lisons dans les Mémoires d'Alexandre Du-
mas le récit d'une aventure de campagne arrivée au père de M. Victor
Hugo, lorsqu'il guerroyait en Espagne; aventure qui eut l'eau pour
principe et pour fin : « Un jour, le général Ilugo arrive, avec une cen-
taine d'hommes, près d'un village situé sur une des mille petites rivières
qui affluent dans le Tage. Pour ne pas donner une alarme inutile, il
entre dans le village avec deux aides de camp seulement afin d'obtenir
des habitants quelques renseignements dont il avait besoin. Il venait de
son camp, composé de cinq ou six mille hommes à peu près, et situé
une lieue au-dessous, en aval de la rivière. Pour avoir les renseigne-
ments qu'il désirait, il s'adresse au propriétaire d'une grande raffinerie
de sucre, lequel, le voyant avec deux aides de camp seulement, reste
complètement muet. Le général Hugo avait soif. Ne pouvant avoir les
renseignements, il désira au moins se rafraîchir et demanda un verre
d'eau. « De l'eau! dit le propriétaire de la raffinerie; il y en a à la
rivière. » Et il ferma sa porte au nez du général. Le général attendit
un instant pour voir si la porte ne se rouvrirait pas. Au lieu de la porte,
ce fut une fenêtre qui s'ouvrit. Un canon de fusil se montra sournoise-
ment; un coup de feu se fit entendre et une balle siffla. Au bruit du
coup de feu, le détachement resté hors de la ville accourut. Lorsque les
soldats surent ce qui venait de se passer, ils voulaient démolir la su-
crerie et brûler le village. Le général Hugo les arrêta. Puis, s'adressant
à son officier d'ordonnance : « Cours au camp, lui dit-il, et invite de
ma part les six mille hommes qui le composent à boire de l'eau sucrée;
ce sera une douceur, et il y a longtemps que les pauvres diables n'en
ont eu. » Une des qualités de l'époque impériale était de comprendre