Il
LES PYRÉNÉES.
qu'on y a faits d'une main moins avare qu'incertaine et timide.
Aucun peuple d'Espagne n'a l'apparence aussi sérieuse, les dehors
aussi froids, les manières aussi calmes, le ton aussi grave, la voix aussi
solennelle et l'accueil aussi sec que le peuple d'Aragon; mais il rachète
ces défauts par une franchise austère, par un sens droit, par de la pru-
dence et de la réflexion. Il aime son pays; il aime beaucoup plus encore
ses libertés. Bien que la couronne d'Aragon fût héréditaire, le roi ne
pouvait monter sur le trône sans avoir préalablement juré de respecter
les privilèges populaires et les lois fondamentales de l'État. Il fallait
que son titre reçût la ratification de la noblesse et du clergé. Dans ce
but, on élisait un magistrat supérieur, justicia mayor, représentant la
puissance populaire. Quand le couronnement avait lieu, le justicia
mayor, dépositaire de la loi suprême, s'asseyait sur un siège élevé, puis
il se découvrait, tandis qu'autour de lui se rangeaient silencieux, dans
une attitude dramatique, les nobles, les membres du haut clergé, les dé-
putés des villes. Le monarque, introduit, s'avançait tête nue, au milieu
de l'assemblée, s'agenouillait ensuite, et jurait, la main sur l'Évangile,
de régner conformément aux lois établies. Le justicia mayor, pendant le
prononcé du serment, couvrait d'une épée nue la poitrine du souve-
rain. Cette formalité remplie, tout le monde applaudissait, et le justicia
prononçait d'une voix retentissante la déclaration suivante :
« Nous qui valons chacun autant que vous, et qui, réunis, l'empor-
« tons sur vous en puissance, nous vous faisons notre roi, à condition
« que vous respecterez nosfueros : si non, non1. »
Cette formule caractérise l'esprit de la célèbre constitution octroyée
par le pape Léon IV, sous le règne d'Inigo Arista, comte de Bigorre et
premier roi d'Aragon. Elle a été l'un des germes, ou plutôt la consécra-
tion légale du sentiment d'indépendance qui s'est identifié avec le pa-
triotisme, le long des Asturies et des Pyrénées.
Un gilet court et pincé, une camisole fixée au moyen d'une courroie,
un large chapeau rond, couvert parfois d'un second chapeau quand la
température s'élève, tel est le costume habituel du paysan aragonais,
1 « Nosotros que cada uno por si somos tanto como vos, y que juntos podemos mas
« que vos, os hacemos nuestro rey, con tanto que guardeis nuestros fueros; si no, no. »
LES PYRÉNÉES.
qu'on y a faits d'une main moins avare qu'incertaine et timide.
Aucun peuple d'Espagne n'a l'apparence aussi sérieuse, les dehors
aussi froids, les manières aussi calmes, le ton aussi grave, la voix aussi
solennelle et l'accueil aussi sec que le peuple d'Aragon; mais il rachète
ces défauts par une franchise austère, par un sens droit, par de la pru-
dence et de la réflexion. Il aime son pays; il aime beaucoup plus encore
ses libertés. Bien que la couronne d'Aragon fût héréditaire, le roi ne
pouvait monter sur le trône sans avoir préalablement juré de respecter
les privilèges populaires et les lois fondamentales de l'État. Il fallait
que son titre reçût la ratification de la noblesse et du clergé. Dans ce
but, on élisait un magistrat supérieur, justicia mayor, représentant la
puissance populaire. Quand le couronnement avait lieu, le justicia
mayor, dépositaire de la loi suprême, s'asseyait sur un siège élevé, puis
il se découvrait, tandis qu'autour de lui se rangeaient silencieux, dans
une attitude dramatique, les nobles, les membres du haut clergé, les dé-
putés des villes. Le monarque, introduit, s'avançait tête nue, au milieu
de l'assemblée, s'agenouillait ensuite, et jurait, la main sur l'Évangile,
de régner conformément aux lois établies. Le justicia mayor, pendant le
prononcé du serment, couvrait d'une épée nue la poitrine du souve-
rain. Cette formalité remplie, tout le monde applaudissait, et le justicia
prononçait d'une voix retentissante la déclaration suivante :
« Nous qui valons chacun autant que vous, et qui, réunis, l'empor-
« tons sur vous en puissance, nous vous faisons notre roi, à condition
« que vous respecterez nosfueros : si non, non1. »
Cette formule caractérise l'esprit de la célèbre constitution octroyée
par le pape Léon IV, sous le règne d'Inigo Arista, comte de Bigorre et
premier roi d'Aragon. Elle a été l'un des germes, ou plutôt la consécra-
tion légale du sentiment d'indépendance qui s'est identifié avec le pa-
triotisme, le long des Asturies et des Pyrénées.
Un gilet court et pincé, une camisole fixée au moyen d'une courroie,
un large chapeau rond, couvert parfois d'un second chapeau quand la
température s'élève, tel est le costume habituel du paysan aragonais,
1 « Nosotros que cada uno por si somos tanto como vos, y que juntos podemos mas
« que vos, os hacemos nuestro rey, con tanto que guardeis nuestros fueros; si no, no. »