VOYAGE EN ESPAGNE.
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La célèbre Italica, cette ruine négligée qui fut le berceau de trois
empereurs dont la postérité bénit encore la mémoire, Trajan, Adrien,
Tliéodose, et celui d'un grand poëte, Silius Italiens, berceau préparé
sept siècles d'avance par Scipion l'Africain , comme s'il eût fallut cet es-
pace pour l'incubation des trois monarques , Italica, devenue somp-
tueuse sous Adrien, saccagée mainte fois et cependant demeurée long-
temps belle, ne perdit son animation qu'après que le Quadalquivir, dont
elle était baignée, eut capricieusement changé la direction de ses eaux.
L'aristocratie romaine aimait à s'y rendre : c'était principalement sous
les frais ombrages ^Italica, dans les galeries thermales d'Alhama, de
Ledesma, dans les eaux bilbitanéennes, que les rivalités nationales s'ef-
façaient et que les gens du grand monde se rapprochaient, se mêlaient
dans un même esprit de bien-être.
Coria fabriquait alors des poteries élégantes, des briques estampées;
Tempel versait en abondance son eau limpide dans les bassins de la
ville herculéenne de Gadès ; à Badajoz, Evora, Ségovia, Sevilla, l'eau
traversant les montagnes, venait féconder l'aridité des plaines; à Tolède,
à Mérida, des cirques imposants recevaient, sur leurs gradins, les popu-
lations avides de voir s'entre-déchirer des bêtes ou mourir un homme...
De toutes ces pompes architecturales, de toutes ces créations d'une
civilisation déjà si mûre, de cette puissance colossale qui menaçait alors
d'écraser le monde, que reste-t-il en Espagne? Demandez-le au Tage,
à l'Èbre, au Douro, dont les flots battent les dernières piles de fonda-
tion romaine et reflètent dans leurs ondes les arceaux du peuple-roi;
demandez-le à l'Océan, qui a vu s'engloutir dans son immensité tant de
cités souveraines , tant de tours réputées invincibles. Trois ou quatre
divinités mutilées , voilà ce que nous a légué le paganisme; quelques
inscriptions, frustes pour la plupart , voilà ce que nous ont légué la
gloire, la reconnaissance et l'orgueil. A Grenade, une de ces inscriptions
votives m'a frappé, c'est le témoignage de gratitude d'un mari, sans
doute un peu fautif, C. Valérius, à Cornélia, la plus indulgente des
femmes. Cornélia n'était pas jalouse , mais son secret sera mort avec
elle, car je ne sais plus une seule Espagnole dont la longanimité ait
obtenu semblable distinction.
Venus pour ramasser le sceptre qu'en Espagne Rome laissait tomber
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La célèbre Italica, cette ruine négligée qui fut le berceau de trois
empereurs dont la postérité bénit encore la mémoire, Trajan, Adrien,
Tliéodose, et celui d'un grand poëte, Silius Italiens, berceau préparé
sept siècles d'avance par Scipion l'Africain , comme s'il eût fallut cet es-
pace pour l'incubation des trois monarques , Italica, devenue somp-
tueuse sous Adrien, saccagée mainte fois et cependant demeurée long-
temps belle, ne perdit son animation qu'après que le Quadalquivir, dont
elle était baignée, eut capricieusement changé la direction de ses eaux.
L'aristocratie romaine aimait à s'y rendre : c'était principalement sous
les frais ombrages ^Italica, dans les galeries thermales d'Alhama, de
Ledesma, dans les eaux bilbitanéennes, que les rivalités nationales s'ef-
façaient et que les gens du grand monde se rapprochaient, se mêlaient
dans un même esprit de bien-être.
Coria fabriquait alors des poteries élégantes, des briques estampées;
Tempel versait en abondance son eau limpide dans les bassins de la
ville herculéenne de Gadès ; à Badajoz, Evora, Ségovia, Sevilla, l'eau
traversant les montagnes, venait féconder l'aridité des plaines; à Tolède,
à Mérida, des cirques imposants recevaient, sur leurs gradins, les popu-
lations avides de voir s'entre-déchirer des bêtes ou mourir un homme...
De toutes ces pompes architecturales, de toutes ces créations d'une
civilisation déjà si mûre, de cette puissance colossale qui menaçait alors
d'écraser le monde, que reste-t-il en Espagne? Demandez-le au Tage,
à l'Èbre, au Douro, dont les flots battent les dernières piles de fonda-
tion romaine et reflètent dans leurs ondes les arceaux du peuple-roi;
demandez-le à l'Océan, qui a vu s'engloutir dans son immensité tant de
cités souveraines , tant de tours réputées invincibles. Trois ou quatre
divinités mutilées , voilà ce que nous a légué le paganisme; quelques
inscriptions, frustes pour la plupart , voilà ce que nous ont légué la
gloire, la reconnaissance et l'orgueil. A Grenade, une de ces inscriptions
votives m'a frappé, c'est le témoignage de gratitude d'un mari, sans
doute un peu fautif, C. Valérius, à Cornélia, la plus indulgente des
femmes. Cornélia n'était pas jalouse , mais son secret sera mort avec
elle, car je ne sais plus une seule Espagnole dont la longanimité ait
obtenu semblable distinction.
Venus pour ramasser le sceptre qu'en Espagne Rome laissait tomber