délivrées par la Renaissance, elle devait ressusciter avec la grande
musique dans le génie du Nord désormais libre et maître de verser
sa formidable vie dans l'âme des hommes futurs.
Quels qu'aient été les attentats du catholicisme et des confessions
protestantes contre l'innocence de l'homme, il faut les accepter comme
des sécrétions sociales nécessaires où l'homme du Midi et l'homme
du Nord ont puisé pendant des siècles ce qui leur manquait pour
établir leur équilibre avec le milieu naturel et moral où s'écoulait leur
vie. L'individualisme passionnel des peuples méridionaux leur impo-
sait le besoin d'une armature sociale puissamment hiérarchisée où
toutes les inquiétudes, tous les conflits intérieurs pussent trouver une
solution précise et réclamer à la rigueur l'appui d'une force extérieure
immuable. Le caractère naturellement social des peuples du Nord,
où la vie plus pénible et l'effort plus continu rendent l'homme néces-
saire à l'homme à chaque instant, réclamait un levier intérieur qui
suscitât l'individu moral. Au siècle où s'épanouit dans un élan suprême
d'énergie le génie germanique et le génie italien, on verra les peintres
qui les représentent l'un et l'autre considérer la forme d'un point de
vue presque opposé. Ici des fresques sur les murailles, faites pour être
vues de tous. Là des œuvres isolées, appartenant à des confréries,
commandées par des donateurs. Ici des artistes d'autant plus puis-
samment individualisés qu'autour d'eux-mêmes la multitude est anar-
chique et passionnée, réunissent l'esprit épars en dressant une image
idéale, généralisatrice et hiérarchique de la nature. Là des artistes à
peine dégagés de l'instinct collectif du moyen âge, divisent l'esprit
commun en particularisant tous les aspects d'une nature confuse et
détaillée et qu'ils voient sur le même plan. Rubens, homme du Nord
et catholique, accordera une minute l'âme de Michel-Ange et l'âme
de Dürer.
Mais il faudra l'attendre un siècle. Jusqu'à lui et malgré les em-
prunts incessants que les peuples du Nord faisaient à l'Italie, tandis
que l'Italie demandait aux coloristes de Flandre des conseils dont
il est moins facile de découvrir la trace, il y eut entre l'esprit du Nord
et l'esprit du Midi une sorte d'antagonisme nécessaire à l'effort du
monde et qui sans doute ne disparaîtra que le jour où, l'unité de
l'Europe effectuée, des groupements plus nombreux et plus éloignés
les uns des autres confronteront leurs désirs. Les paysages maigres
du Midi, leur transparence, les lignes sobres et précises qui les arrêtent
dans l'intelligence et font naître en nous des idées claires et des rap-
ports essentiels permirent aux grands Italiens de donner de la nature
une interprétation intellectuelle qui, des sculpteurs d'Égypte à Michel-
Ange et de Phidias à Titien, n'a changé que d'apparences, et tend à
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musique dans le génie du Nord désormais libre et maître de verser
sa formidable vie dans l'âme des hommes futurs.
Quels qu'aient été les attentats du catholicisme et des confessions
protestantes contre l'innocence de l'homme, il faut les accepter comme
des sécrétions sociales nécessaires où l'homme du Midi et l'homme
du Nord ont puisé pendant des siècles ce qui leur manquait pour
établir leur équilibre avec le milieu naturel et moral où s'écoulait leur
vie. L'individualisme passionnel des peuples méridionaux leur impo-
sait le besoin d'une armature sociale puissamment hiérarchisée où
toutes les inquiétudes, tous les conflits intérieurs pussent trouver une
solution précise et réclamer à la rigueur l'appui d'une force extérieure
immuable. Le caractère naturellement social des peuples du Nord,
où la vie plus pénible et l'effort plus continu rendent l'homme néces-
saire à l'homme à chaque instant, réclamait un levier intérieur qui
suscitât l'individu moral. Au siècle où s'épanouit dans un élan suprême
d'énergie le génie germanique et le génie italien, on verra les peintres
qui les représentent l'un et l'autre considérer la forme d'un point de
vue presque opposé. Ici des fresques sur les murailles, faites pour être
vues de tous. Là des œuvres isolées, appartenant à des confréries,
commandées par des donateurs. Ici des artistes d'autant plus puis-
samment individualisés qu'autour d'eux-mêmes la multitude est anar-
chique et passionnée, réunissent l'esprit épars en dressant une image
idéale, généralisatrice et hiérarchique de la nature. Là des artistes à
peine dégagés de l'instinct collectif du moyen âge, divisent l'esprit
commun en particularisant tous les aspects d'une nature confuse et
détaillée et qu'ils voient sur le même plan. Rubens, homme du Nord
et catholique, accordera une minute l'âme de Michel-Ange et l'âme
de Dürer.
Mais il faudra l'attendre un siècle. Jusqu'à lui et malgré les em-
prunts incessants que les peuples du Nord faisaient à l'Italie, tandis
que l'Italie demandait aux coloristes de Flandre des conseils dont
il est moins facile de découvrir la trace, il y eut entre l'esprit du Nord
et l'esprit du Midi une sorte d'antagonisme nécessaire à l'effort du
monde et qui sans doute ne disparaîtra que le jour où, l'unité de
l'Europe effectuée, des groupements plus nombreux et plus éloignés
les uns des autres confronteront leurs désirs. Les paysages maigres
du Midi, leur transparence, les lignes sobres et précises qui les arrêtent
dans l'intelligence et font naître en nous des idées claires et des rap-
ports essentiels permirent aux grands Italiens de donner de la nature
une interprétation intellectuelle qui, des sculpteurs d'Égypte à Michel-
Ange et de Phidias à Titien, n'a changé que d'apparences, et tend à
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