résumer la vie universelle dans la forme humaine aussi purifiée que
l'esprit des accidents qui les entravent et des imperfections qui les
entourent. La confusion noyée de brume et submergée de feuilles des
paysages du Nord, qui fait entrer dans notre émoi de vagues sensa-
tions où s'enchevêtrent des images impuissantes à s'organiser en idées,
ouvrit aux artistes des pays septentrionaux les portes d'un mystère
où les formes flottent et se cherchent, interdisant au sentiment d'éli-
miner et de choisir. Les uns, en réduisant la nature à une harmonie
volontaire, élevaient l'homme jusqu'au Dieu, les autres mêlaient
l'homme à la vie générale en considérant la nature comme une sym-
phonie aveugle où la conscience sombre dans le vertige des sons, des
formes et des couleurs. De là l'exaltation spirituelle de ceux qui, pour
mieux saisir la destinée supérieure de l'homme, oubliaient sa misère
et leur propre souffrance et le voyaient montant toujours, de là l'huma-
nité de ceux qui, chaque fois qu'ils se penchaient sur l'homme, l'aper-
cevaient roulé dans le flot fraternel de la matière, des idées et des
mouvements. L'anthropomorphisme des uns, le panthéisme des autres
ont donné à notre esprit les deux pôles de sa puissance, entre lesquels
il est peut-être condamné à marcher éternellement, mais où il puise,
en même temps que le désir et le doute, la volonté de l'action.
Et qu'importe le doute, et qu'importe que le désir ne s'éteigne
jamais! Qu'importe la souffrance de sentir à tout instant s'échapper
cette vérité monstrueuse que nous croyons à tout instant tenir et qui
nous déborde sans cesse parce qu'elle est vivante comme nous et que
nous la créons chaque jour pour la condamner à mourir par le seul
fait que nous l'arrachons de nous-mêmes! Qu'importe qu'il y ait
d'âge en âge des voix déchirées qui disent que nous ne saurons jamais
tout! C'est notre gloire. Chaque fois que nous nous mettons à l'ou-
vrage, nous savons tout, puisque, à la minute créatrice, toutes les forces
vives du monde affluent en nous, qui les appelons et les résumons,
pour illuminer notre esprit et diriger notre main. Si nous aimons la
Renaissance avec tant d'ivresse, c'est qu'elle a consenti à souffrir
pour tirer de la nuit ces vérités mouvantes dont nous commençons
à peine à entrevoir aujourd'hui la puissance de création jamais épuisée,
parce qu'elles sont solidaires de toutes les vérités qui furent et de toutes
celles qui seront. Nous n'oublierons pas ces hommes invincibles qui,
alors que tous les pouvoirs s'associaient pour leur barrer la route,
alors qu'on brûlait leurs livres, qu'on broyait leurs creusets, qu'on
levait la hache et le glaive et qu'on préparait les bûchers, ne reculèrent
pas devant la tâche de découvrir des faits et des idées qui brisaient
chaque jour leurs équilibres d'âmes si péniblement conquis et main-
tenaient en eux la nécessité d'un effort toujours tendu vers d'autres
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l'esprit des accidents qui les entravent et des imperfections qui les
entourent. La confusion noyée de brume et submergée de feuilles des
paysages du Nord, qui fait entrer dans notre émoi de vagues sensa-
tions où s'enchevêtrent des images impuissantes à s'organiser en idées,
ouvrit aux artistes des pays septentrionaux les portes d'un mystère
où les formes flottent et se cherchent, interdisant au sentiment d'éli-
miner et de choisir. Les uns, en réduisant la nature à une harmonie
volontaire, élevaient l'homme jusqu'au Dieu, les autres mêlaient
l'homme à la vie générale en considérant la nature comme une sym-
phonie aveugle où la conscience sombre dans le vertige des sons, des
formes et des couleurs. De là l'exaltation spirituelle de ceux qui, pour
mieux saisir la destinée supérieure de l'homme, oubliaient sa misère
et leur propre souffrance et le voyaient montant toujours, de là l'huma-
nité de ceux qui, chaque fois qu'ils se penchaient sur l'homme, l'aper-
cevaient roulé dans le flot fraternel de la matière, des idées et des
mouvements. L'anthropomorphisme des uns, le panthéisme des autres
ont donné à notre esprit les deux pôles de sa puissance, entre lesquels
il est peut-être condamné à marcher éternellement, mais où il puise,
en même temps que le désir et le doute, la volonté de l'action.
Et qu'importe le doute, et qu'importe que le désir ne s'éteigne
jamais! Qu'importe la souffrance de sentir à tout instant s'échapper
cette vérité monstrueuse que nous croyons à tout instant tenir et qui
nous déborde sans cesse parce qu'elle est vivante comme nous et que
nous la créons chaque jour pour la condamner à mourir par le seul
fait que nous l'arrachons de nous-mêmes! Qu'importe qu'il y ait
d'âge en âge des voix déchirées qui disent que nous ne saurons jamais
tout! C'est notre gloire. Chaque fois que nous nous mettons à l'ou-
vrage, nous savons tout, puisque, à la minute créatrice, toutes les forces
vives du monde affluent en nous, qui les appelons et les résumons,
pour illuminer notre esprit et diriger notre main. Si nous aimons la
Renaissance avec tant d'ivresse, c'est qu'elle a consenti à souffrir
pour tirer de la nuit ces vérités mouvantes dont nous commençons
à peine à entrevoir aujourd'hui la puissance de création jamais épuisée,
parce qu'elles sont solidaires de toutes les vérités qui furent et de toutes
celles qui seront. Nous n'oublierons pas ces hommes invincibles qui,
alors que tous les pouvoirs s'associaient pour leur barrer la route,
alors qu'on brûlait leurs livres, qu'on broyait leurs creusets, qu'on
levait la hache et le glaive et qu'on préparait les bûchers, ne reculèrent
pas devant la tâche de découvrir des faits et des idées qui brisaient
chaque jour leurs équilibres d'âmes si péniblement conquis et main-
tenaient en eux la nécessité d'un effort toujours tendu vers d'autres
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