guerre agitait encore les cités républicaines et il fallait toujours au-
dessus des dalles des rues ces durs palais rectangulaires, hauts et nus,
que Brunelleschi dressa face aux églises ouvragées, pour affirmer,
devant l'âme du Nord envahissante, la survivance du latin. Elle forma
moins de sculpteurs Elle vit naître tant de peintres qu'elle parut
inventer la peinture et que le souvenir de ce qu'elle fit alors n'a pas
encore cessé d'agir sur nous.
La peinture exprimait, dès le treizième siècle, l'individualisme
italien. Les gothiques siennois, Giotto, Cimabuë faisaient déjà des
tableaux d'autel ou décoraient directement les murs, alors que Fran-
çais et Flamands ne connaissaient que la verrière ou l'enluminure
du missel. Quand les peintres italiens, au début du quinzième siècle,
demandaient aux peintres flamands les secrets de leur technique,
c'es qu'ils sentaient que ce langage était toujours fait pour eux.
Comme leur génie naturel leur interdisait d'emprunter aux Flamands
autre chose que des procédés extérieurs, comme on ne connaissait
rien de la peinture antique, ils furent, en tant que peintres, tout de
suite eux-mêmes et rien qu'eux-mêmes. S'ils éprouvèrent l'action des
sculpteurs et des humanistes, c'est au travers de tant de commentaires
et de tempéraments nouveaux qu'elle leur donna plus d'accent.
Les sculpteurs prétendaient, au contraire, s'inspirer des ouvrages
anciens. Nicolas Pisano s'entourait de vieux sarcophages. Malgré la
force que versaient à ses successeurs, Giovanni, Nanni di Banco,
Jacopo della Quercia, Donatello, Ghiberti, les plus ardents foyers
de vie sentimentale que le monde ait jamais connus, aucun d'entre
eux, quelles qu'aient été la liberté de son inspiration et la verdeur de
son langage, aucun n'oublia que sur ce sol, mille ans auparavant,
s'élevaient des villes de marbre. Encore enfant, maigre, pauvre, Dona-
tello suivit Brunelleschi à Rome. Ils y vécurent en brigands, les mains
durcies par la pioche et le pic, pleins de terre, s'accrochant aux brous-
sailles, aux figuiers sauvages pour escalader les murs, mesurant l'ou-
verture et l'épaisseur des voûtes, passant des journées dans les ténèbres
souterraines des vieux temples engloutis, fous quand ils déterraient
une colonne, une statue, quatre ou cinq pierres assemblées. Au
retour, ils connaissaient mieux les raisons de leur orgueil.
Ce n'est donc pas le poids des souvenirs antiques qui gêna l'essor
sculptural de l'Italie. Elle éprouvait un besoin trop impérieux d'af-
firmer sa gloire intime pour consentir à demander aux anciens sta-
tuaires autre chose qu'une discipline d'esprit dont l'effet principal
fût d'accentuer sa puissance expressive en prétendant la maîtriser.
Si la sculpture n'a jamais été le langage de choix de ses artistes, c'est
que la sculpture s'isole mal de l'architecture dont elle est née, c'est
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dessus des dalles des rues ces durs palais rectangulaires, hauts et nus,
que Brunelleschi dressa face aux églises ouvragées, pour affirmer,
devant l'âme du Nord envahissante, la survivance du latin. Elle forma
moins de sculpteurs Elle vit naître tant de peintres qu'elle parut
inventer la peinture et que le souvenir de ce qu'elle fit alors n'a pas
encore cessé d'agir sur nous.
La peinture exprimait, dès le treizième siècle, l'individualisme
italien. Les gothiques siennois, Giotto, Cimabuë faisaient déjà des
tableaux d'autel ou décoraient directement les murs, alors que Fran-
çais et Flamands ne connaissaient que la verrière ou l'enluminure
du missel. Quand les peintres italiens, au début du quinzième siècle,
demandaient aux peintres flamands les secrets de leur technique,
c'es qu'ils sentaient que ce langage était toujours fait pour eux.
Comme leur génie naturel leur interdisait d'emprunter aux Flamands
autre chose que des procédés extérieurs, comme on ne connaissait
rien de la peinture antique, ils furent, en tant que peintres, tout de
suite eux-mêmes et rien qu'eux-mêmes. S'ils éprouvèrent l'action des
sculpteurs et des humanistes, c'est au travers de tant de commentaires
et de tempéraments nouveaux qu'elle leur donna plus d'accent.
Les sculpteurs prétendaient, au contraire, s'inspirer des ouvrages
anciens. Nicolas Pisano s'entourait de vieux sarcophages. Malgré la
force que versaient à ses successeurs, Giovanni, Nanni di Banco,
Jacopo della Quercia, Donatello, Ghiberti, les plus ardents foyers
de vie sentimentale que le monde ait jamais connus, aucun d'entre
eux, quelles qu'aient été la liberté de son inspiration et la verdeur de
son langage, aucun n'oublia que sur ce sol, mille ans auparavant,
s'élevaient des villes de marbre. Encore enfant, maigre, pauvre, Dona-
tello suivit Brunelleschi à Rome. Ils y vécurent en brigands, les mains
durcies par la pioche et le pic, pleins de terre, s'accrochant aux brous-
sailles, aux figuiers sauvages pour escalader les murs, mesurant l'ou-
verture et l'épaisseur des voûtes, passant des journées dans les ténèbres
souterraines des vieux temples engloutis, fous quand ils déterraient
une colonne, une statue, quatre ou cinq pierres assemblées. Au
retour, ils connaissaient mieux les raisons de leur orgueil.
Ce n'est donc pas le poids des souvenirs antiques qui gêna l'essor
sculptural de l'Italie. Elle éprouvait un besoin trop impérieux d'af-
firmer sa gloire intime pour consentir à demander aux anciens sta-
tuaires autre chose qu'une discipline d'esprit dont l'effet principal
fût d'accentuer sa puissance expressive en prétendant la maîtriser.
Si la sculpture n'a jamais été le langage de choix de ses artistes, c'est
que la sculpture s'isole mal de l'architecture dont elle est née, c'est
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