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sa réflexion donne à cet esprit le droit et le devoir de poursuivre
jusqu'à la mort. Les murs des églises et des palais municipaux sont
seuls assez en vue et assez vastes pour apaiser la fièvre de l'artiste,
l'avidité sentimentale du spectateur, l'orgueil du prêtre et de la ville.
La fresque, d'ailleurs conseillée par la transparence de l'atmosphère
florentine, la netteté des tons et des contours, la nudité des murs
romains sans fenêtres ni verrières, devint le langage naturel de tous
les peintres toscans. Les vieux maîtres du moyen âge, Cimabuë,
Giotto, Duccio, Simone Martini, les Gaddi, les Lorenzetti, Orcagna,
n'en ont pour ainsi dire pas connu d'autres. Gennino Cennini a fait
sur elle un livre ingénu et touchant. Au réveil, Angelico s'en empare,
Masaccio en tire des accents que nul après lui n'y retrouve, Michel-
Ange en fait un instrument terrible, qui ébranle le monument. Il
semble qu'Andrea del Castagno, Filippo Lippi, Uccello, Ghirlandajo,
Luini ne soient vraiment eux-mêmes que par elle, et grâce à elle.
Antonio Pollaiuolo, Botticelli surtout s'y découvrent tout à fait,
deviennent fiers et graves, se simplifient dès qu'ils l'emploient et rap-
pellent, par la profondeur et la pureté de l'accent, le caractère de vie
surprise comme une ombre sur le mur, les vieux décorateurs étrusques.
La fresque était née d'une collaboration étroite entre l'artiste et le
maçon. Que de recherches communes, d'échecs décourageants, d'en-
thousiasmes blessés avant que le peintre connût les qualités de sa
matière, sût la préparer, l'attendre, saisir l'instant où elle exigerait
qu'il lui livrât la dernière fleur de son âme longtemps cultivée dans
les dessins et les cartons! Ils se levaient aux dernières heures de la
nuit pour peindre avant que le soleil séchât les murailles, ils vivaient
tout le jour dans l'attente ardente de ces moments admirables où ils
communiaient avec la pierre pour l'éternité de l'esprit. Leur vie pas-
sionnelle n'était que la préparation supérieure et tyrannisante à la
mission qu'ils se sentaient. Ils ont fait de la fresque un instrument
profond dont ils surent tirer des accents si dramatiques que la flamme
des cœurs semble encore embraser les murs. Ni hésitations, ni repentirs.
Pour que le mortier humide pût saisir la couleur et la cristalliser dans
son durcissement graduel, lui prendre un peu de son éclat, lui donner
en l'incorporant à l'eau et à la pierre leur terreuse et sourde beauté,
il fallut l'élan de l'âme italienne, ne revenant jamais sur ses pas,
toujours furieuse et meurtrie de ne pouvoir se dépasser. La fresque
est faite pour fixer l'instant passionnel dans une matière solide comme
la méditation.

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