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pâles harmonies étaient comme le parfum, ses gazons pleins de fleurs
et ses petites vierges qui gardaient toujours les mains croisées sur la
poitrine, Masaccio travaillait dans une église obscure à couvrir une
muraille presque invisible du drame de conscience qui définit par
avance l'action des siècles critiques ouverts par les Florentins.
Masaccio n'était même pas, à vrai dire, le premier. C'est à Sienne,
terre mystique, foyer du désaccord le plus accusé entre l'évolution du
monde et les traditions de la foi que le sculpteur Jacopo della Quercia
avait jeté le cri d'alarme, que Masaccio lui-même entendit certaine-
ment. L'œuvre paraît d'une maturité singulière quand on la sait la
première de toutes, avant celle d'Angelico, avant celle de Masaccio,
avant celle de Donatello, avant celle de ce Masolino da Panicale si
troublant qui précéda de quelques années Masaccio dans sa chapelle,
et contemporaine à peu près de l'effort extraordinaire que réalisa
Ghiberti sur les portes de bronze du baptistère florentin. Elle est plus
large encore et, n'était sa rudesse auguste, on la croirait venue cent
ans après Angelico. La sculpture, grâce à Giovanni Pisano, avait pris
beaucoup d'avance et pouvait exprimer le drame plus fortement que
les peintres encore embarrassés d'imagerie et de byzantinisme et
incapables de passer, comme l'avait fait Giotto, au travers des for-
mules d'école et des préjugés traditionnels. On eût dit une ébauche
puissante de la tragédie de la Sixtine et du Tombeau des Médicis. Soit
que Jacopo décorât la fontaine de la place du Municipe, soit qu'il
sculptât sur la façade de San Petronio de Bologne Adam bêchant la
terre, Ève chassée, le drame innocent et formidable de la première
aventure d'amour, c'étaient déjà des figures violentes avec des sourcils
froncés, des têtes portées par des cous comme une arme au bout
d'un bras, des mains contractées et musculeuses serrant un indomp-
table enfant, un ardent mouvement des torses et des flancs et des seins
faits pour abriter et nourrir toutes les joies et tous les maux du monde
— le cri d'un prophète irrité. Le plus haut symbolisme humain réu-
nissait l'âme à la forme. Le sujet éternel, celui que les poètes juifs
ont arraché à l'anecdote pour l'installer jusqu'à la fin des temps dans
notre mécanisme intellectuel même, l'histoire immuable de l'homme
qui ouvre ses yeux à la vie, qui veut interroger la vie, que la vie blesse
et qu'elle condamne à l'interroger plus profond pour panser cette
blessure et pour en ouvrir d'autres, le sujet éternel fleurissait la pierre.
L'esprit de l'artiste et l'esprit de la pierre même fusionnaient dans
l'éclair de la grande intuition lyrique où les lois immobiles de l'harmonie
universelle s'accordent avec le sentiment le plus ingénu et le plus
égoïste de nos peines, de nos soucis, de nos travaux quotidiens. Jacopo
della Quercia ne s'imaginait pas que la tragédie monotone dont l'in-

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