terrogation approfondie et continue nous conduit à l'acceptation de
sa nécessité cruelle, pût faire couler des larmes niaises et provoquer
des protestations moralisantes contre l'implacable destin que nous
portons dès la naissance dans le cœur. Il consentait au drame humain,
et le drame humain consenti lui apportait sa récompense. Une force
terrible habitait ses pierres sculptées, le sentiment profond des hommes
primitifs s'exprimait par la forme pleine des temps épanouis du monde
qui décuplait sa majesté. Il était déjà maître de sa grande âme. Ses
surfaces expressives connaissaient les longs silences; auprès de lui
Donatello semble crispé d'angoisse, Michel-Ange convulsé de fureur
et de dégoût. Quand il couche des morts sur la dalle funéraire, il sait
forcer la paix définitive à habiter leur front, et cela prend une gran-
deur tragique parce qu'on sent sa passion arrêtée par les plans de
marbre à chaque bond du cœur et de la main. Et pourtant, il avait
déjà franchi la porte de l'enfer, abandonné toute espérance. Il devançait
tout son siècle pour aboutir d'un seul élan aux conclusions de Michel-
Ange et personne ne le comprit.
Masaccio, au contraire, plongé dans un milieu plus vivant et
plus mobile, saisissant du premier coup l'outil le plus obéissant de
l'intelligence italienne, la peinture, et mort à vingt-sept ans dans le
mystère, devait, par ses hésitations mêmes, agir sur les esprits beau-
coup plus directement. Ce qu'il défendait, ce qu'il vénérait, ce qu'il
voulait croire, tout l'attachait au moyen âge. Mais par la sensation
et l'inquiétude, par la foi neuve qui montait de lui malgré lui, il défi-
nissait déjà le siècle commençant dans ses plus douloureux conflits.
Il avait peint sur le vieux mur de Santa Maria del Carminé l'Homme
et la femme chassés par l'ange de l'Éden, seulement il leur prenait
les mains pour les guider, à travers le malheur, vers les paradis acces-
sibles. Il enfanta la Renaissance et c'est parce qu'il a vécu qu'elle
chercha à renouveler, dans l'étude ardente de la forme, les rythmes
de la vie perdus.
Il a inventé la peinture. C'est dans la chapelle sombre décorée
par Masaccio que Raphaël, Vinci, Signorelli, Michel-Ange vinrent
chercher l'initiation. Comme nous le sommes aujourd'hui, ils y furent
saisis par ces foules qui renaissent dans les ténèbres, émergeant avec
une irrésistible lenteur de leur atmosphère uniforme, ainsi que les
larves puissantes de l'esprit et du cœur renouvelés des hommes hors
de l'énergie confuse du plasma primitif. A vingt-cinq ans, il savait
ce que les plus grands ne découvrent qu'à l'approche de la vieillesse,
que la peinture c'est le passage, le modelé poursuivi, l'ombre qui
tourne autour des formes, les enveloppe de silence, les unit aux formes
qui sont près d'elles et derrière elles, et sculpte le tableau dans les
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sa nécessité cruelle, pût faire couler des larmes niaises et provoquer
des protestations moralisantes contre l'implacable destin que nous
portons dès la naissance dans le cœur. Il consentait au drame humain,
et le drame humain consenti lui apportait sa récompense. Une force
terrible habitait ses pierres sculptées, le sentiment profond des hommes
primitifs s'exprimait par la forme pleine des temps épanouis du monde
qui décuplait sa majesté. Il était déjà maître de sa grande âme. Ses
surfaces expressives connaissaient les longs silences; auprès de lui
Donatello semble crispé d'angoisse, Michel-Ange convulsé de fureur
et de dégoût. Quand il couche des morts sur la dalle funéraire, il sait
forcer la paix définitive à habiter leur front, et cela prend une gran-
deur tragique parce qu'on sent sa passion arrêtée par les plans de
marbre à chaque bond du cœur et de la main. Et pourtant, il avait
déjà franchi la porte de l'enfer, abandonné toute espérance. Il devançait
tout son siècle pour aboutir d'un seul élan aux conclusions de Michel-
Ange et personne ne le comprit.
Masaccio, au contraire, plongé dans un milieu plus vivant et
plus mobile, saisissant du premier coup l'outil le plus obéissant de
l'intelligence italienne, la peinture, et mort à vingt-sept ans dans le
mystère, devait, par ses hésitations mêmes, agir sur les esprits beau-
coup plus directement. Ce qu'il défendait, ce qu'il vénérait, ce qu'il
voulait croire, tout l'attachait au moyen âge. Mais par la sensation
et l'inquiétude, par la foi neuve qui montait de lui malgré lui, il défi-
nissait déjà le siècle commençant dans ses plus douloureux conflits.
Il avait peint sur le vieux mur de Santa Maria del Carminé l'Homme
et la femme chassés par l'ange de l'Éden, seulement il leur prenait
les mains pour les guider, à travers le malheur, vers les paradis acces-
sibles. Il enfanta la Renaissance et c'est parce qu'il a vécu qu'elle
chercha à renouveler, dans l'étude ardente de la forme, les rythmes
de la vie perdus.
Il a inventé la peinture. C'est dans la chapelle sombre décorée
par Masaccio que Raphaël, Vinci, Signorelli, Michel-Ange vinrent
chercher l'initiation. Comme nous le sommes aujourd'hui, ils y furent
saisis par ces foules qui renaissent dans les ténèbres, émergeant avec
une irrésistible lenteur de leur atmosphère uniforme, ainsi que les
larves puissantes de l'esprit et du cœur renouvelés des hommes hors
de l'énergie confuse du plasma primitif. A vingt-cinq ans, il savait
ce que les plus grands ne découvrent qu'à l'approche de la vieillesse,
que la peinture c'est le passage, le modelé poursuivi, l'ombre qui
tourne autour des formes, les enveloppe de silence, les unit aux formes
qui sont près d'elles et derrière elles, et sculpte le tableau dans les
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