des âmes, des échos lui répondaient par toutes les voix de la sensibi-
lité et de l'action. Comment ne pas aller jusqu'au fond de la vie, quand
la vie s'use si vite, quand le poison et le couteau la guettent à tous les
tournants, quand la méditation risque d'être à toute minute tranchée
par la hache et le glaive, quand tous peuvent se demander le matin
si le soir ils seront là? Toute l'histoire de la naissance et de la mort
des Républiques italiennes explique les œuvres terribles où Florence
les évoqua. L'homme est toujours en état de défense, l'individu est
seul en face de l'individu. Ce temps doit son ardeur, sa curiosité, son
impitoyable énergie à chacun des instants dramatiques dont chaque
esprit fut la vivante succession. C'est dans ce feu, où se consuma
l'Italie, qu'elle trempa l'âme moderne. Tout ce que nous savons en
sort, droit comme un rayon qui réchauffe. Nous en avons vécu long-
temps, la leçon est immortelle. Rien de grand qui n'ait à sa source
la douleur et le combat.
Tout le drame est si réel dans l'œuvre de Donatello qu'on le croi-
rait sans précurseur et sans successeur à Florence. Quand on a médité
devant ses figures tendues, on oublie que le savant orfèvre Ghiberti
a déjà ciselé ses portes en groupes élégants où le sentiment trop mûr
de la forme et de la vie décorative semble, au-dessus de ces dalles
sanglantes, ouvrir un beau livre d'images pour séduire les durs enfants
qui passent et les détourner de leur chemin. Mais, au premier tournant,
Donatello travaille. La guerre des rues gronde sous sa fenêtre, les
clameurs traversent sa chair, et sa volonté d'être calme érige le marbre
et le bronze en attitudes immobiles où se tendent à se briser les res-
sorts de son esprit. La lame brûle le fourreau. La fureur de la ville
bout dans le cœur stoïque de ce fils d'un agitateur expulsé de Florence
après le tumulte des Ciompi. Le métal lui obéit comme une argile.
Il le tord, le tend et le drape au gré des impulsions farouches que sa
droite raison parvient pourtant à maintenir entre les lignes inflexibles
d'une harmonie sûre et tranchante comme le fil de son ciseau. Plus
on le sent digne et simple, plus son ferme esprit s'attache à oublier
les haines et les tentations de la vie, et plus l'orage de la vie sculpte
de dedans en dehors ses figures implacables. Elles n'ont pas un geste,
elles ne bougent pas, mais l'être intérieur que révèlent les jambes
raides, les mains énervées, les faces pétries de passion, éclate d'une
énergie démesurée. Les prophètes dévastés qui penchent leur front
sur la ville, les vieillards presque nus dont le crâne et le bras sont
arides et durs comme la terre du désert, ne portent pas seuls le fardeau
de la colère. Il convulse ces femmes violentes qui tiennent un sabre
à la main et dont les pieds se crispent dans le sang. Il contracte ces
faces d'hommes, guerriers, penseurs, marchands, dont les sauvages
T. IIE
— 33 —
4
lité et de l'action. Comment ne pas aller jusqu'au fond de la vie, quand
la vie s'use si vite, quand le poison et le couteau la guettent à tous les
tournants, quand la méditation risque d'être à toute minute tranchée
par la hache et le glaive, quand tous peuvent se demander le matin
si le soir ils seront là? Toute l'histoire de la naissance et de la mort
des Républiques italiennes explique les œuvres terribles où Florence
les évoqua. L'homme est toujours en état de défense, l'individu est
seul en face de l'individu. Ce temps doit son ardeur, sa curiosité, son
impitoyable énergie à chacun des instants dramatiques dont chaque
esprit fut la vivante succession. C'est dans ce feu, où se consuma
l'Italie, qu'elle trempa l'âme moderne. Tout ce que nous savons en
sort, droit comme un rayon qui réchauffe. Nous en avons vécu long-
temps, la leçon est immortelle. Rien de grand qui n'ait à sa source
la douleur et le combat.
Tout le drame est si réel dans l'œuvre de Donatello qu'on le croi-
rait sans précurseur et sans successeur à Florence. Quand on a médité
devant ses figures tendues, on oublie que le savant orfèvre Ghiberti
a déjà ciselé ses portes en groupes élégants où le sentiment trop mûr
de la forme et de la vie décorative semble, au-dessus de ces dalles
sanglantes, ouvrir un beau livre d'images pour séduire les durs enfants
qui passent et les détourner de leur chemin. Mais, au premier tournant,
Donatello travaille. La guerre des rues gronde sous sa fenêtre, les
clameurs traversent sa chair, et sa volonté d'être calme érige le marbre
et le bronze en attitudes immobiles où se tendent à se briser les res-
sorts de son esprit. La lame brûle le fourreau. La fureur de la ville
bout dans le cœur stoïque de ce fils d'un agitateur expulsé de Florence
après le tumulte des Ciompi. Le métal lui obéit comme une argile.
Il le tord, le tend et le drape au gré des impulsions farouches que sa
droite raison parvient pourtant à maintenir entre les lignes inflexibles
d'une harmonie sûre et tranchante comme le fil de son ciseau. Plus
on le sent digne et simple, plus son ferme esprit s'attache à oublier
les haines et les tentations de la vie, et plus l'orage de la vie sculpte
de dedans en dehors ses figures implacables. Elles n'ont pas un geste,
elles ne bougent pas, mais l'être intérieur que révèlent les jambes
raides, les mains énervées, les faces pétries de passion, éclate d'une
énergie démesurée. Les prophètes dévastés qui penchent leur front
sur la ville, les vieillards presque nus dont le crâne et le bras sont
arides et durs comme la terre du désert, ne portent pas seuls le fardeau
de la colère. Il convulse ces femmes violentes qui tiennent un sabre
à la main et dont les pieds se crispent dans le sang. Il contracte ces
faces d'hommes, guerriers, penseurs, marchands, dont les sauvages
T. IIE
— 33 —
4