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appétits ont tendu les muscles, dévié les bouches, creusé les orbites,
élargi les mâchoires, forcé les plans osseux à subir la poussée de l'âme
comme la croûte de la terre obéit au feu central. Il étouffe ces jeunes
gens, guindés sous l'armure de fer, maigres, et « d'une fierté
terrible » (i), il accable ces enfants qui rient d'un rire fixe ou qui
tournent en rond en secouant des guirlandes de fleurs. Du berceau
ballotté sur les routes de l'exil au tombeau creusé par la lance, par-
tout, dans ces grandes statues équestres en qui la force militaire même
pèse et sonne sur le pavé, ces farouches visages qu'il a creusés jusqu'au
cœur, tous ces corps de flamme et de nerfs, ces ossatures apparentes
et ces masques convulsifs, le conflit des sentiments nouveaux et des
certitudes anciennes atteint son plus tragique instant. Il sait trop,
ou pas assez.
C'est par là, beaucoup plutôt que par les tours de métier ou les
formules apprises que tous ses élèves ressemblent à Donatello. Une
harpe de fer semble jouer quelque part dans l'espace, seule, et qu'ils
écoutent tous les yeux fermés, les poings serrés, afin de faire entrer
dans le bronze ou le marbre la saccade des rythmes dont elle fait
battre leur sang. Le cycle donatellien est tout entier tordu d'angoisse.
Cette énergie bandée, ce style dur ne viennent pas du maître, ils sont
antérieurs à l'œuvre, ils l'entourent et lui survivent comme la cité
dévorante où la vie frénétique brûle les générations. Cela est bien de
Florence. Lucques n'en est pas loin, et pourtant son sculpteur, Mateo
Civitali, qui a certainement connu l'œuvre de Donatello, puisqu'il
est contemporain de ses plus jeunes élèves, rappelle, par sa plénitude,
son calme, son accent robuste et assis, le romain inconnu qui sculpta
la Grande Vestale. Jamais ailleurs on n'avait vu ces maternités drama-
tiques, ces mains crispées, la tendresse furieuse des mères, la sauva-
gerie, la brutalité, la violence des enfants. On voit bien qu'une idée
se lève, à l'amour hagard du monde pour le fruit de son cerveau. Tous,
les Della Robbia, Desiderio da Settignano, Mino da Fiesole, Miche-
lozzo, Antonio Rossellino, Benedetto da Majano sont consumés par
le désir d'exprimer plus qu'ils ne peuvent et d'affirmer avec intransi-
geance des réalités morales qui ne sont pas encore tout à fait mûres
en eux. Chez Desiderio, feu vivant, les enfants eux-mêmes souffrent,
sont graves, interrogent la vie, se demandent pourquoi ils sont nés.
Chez le doux Mino da Fiesole, leur rire même est forcé. Quand Lucca
della Robbia les fait danser, chanter, jouer de la musique, ils dansent,
ils chantent, ils jouent avec une espèce de douleur. Les battements
rythmiques de leurs pieds et de leurs mains ont l'air de secousses ner-
(i) Vasari.

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