et même quand il se penchait sur l'enfance, qui ne fut jamais aimée
avec plus de fièvre qu'à Florence et qu'il regarda gravement, un ordre
géométrique caractérisait ses tableaux. La tragédie sentimentale ne
consentait pas à s'exprimer autrement que par le jeu catégorique
des lignes dominantes de la forme en mouvement. Tableaux hallu-
cinants, apparitions d'ombres vivantes sur des fonds presque abstraits
où la rigueur des lignes droites qui enfoncent ou déploient le drame
mécaniquement intensifie sa force nerveuse et sa pathétique beauté.
La dynamique puissante d'Uccello animera, par Piero della Fran-
cesca et Signorelli avant tous les autres et jusqu'à la fin de Michel-
Ange, l'âge noble des Italiens. Le caractère universel de l'artiste de
Florence, sans doute, l'empêcha de s'épanouir. S'il eût suivi son ins-
tinct jusqu'au bout, il eût rencontré probablement plus tôt l'émotion
créatrice débarrassée du souci de la technique à employer, parce
qu'ayant absorbé, digéré, assimilé cette technique devenue fonction
même de l'intelligence et du cœur. Mais le siècle suivant gagna à son
enquête impitoyable une force et une grandeur que l'Europe tout
entière fut obligée de subir. La discipline rigoureuse que s'imposa
l'esprit florentin et qui remit à plus tard une réalisation qu'il savait
ne pas pouvoir espérer pour lui-même, excita sa curiosité, révéla
des énergies sans nombre, éclaira sur leur valeur propre des intelli-
gences qui ne savaient pas, dans le chaos des connaissances, où se
trouvait l'instrument libérateur. Leone Battista Alberti était à la fois
architecte, peintre, géomètre, ingénieur, dramaturge, poète, latiniste,
théologien. Brunelleschi, déterminant l'action toute puissante de ses
disciples directs, Donatello, Masaccio, Uccello, créait réellement la
perspective linéaire, qui permit à ses successeurs d'introduire entre
des plans géométriques l'illusion de la vie se déroulant en profondeur.
Cennino Cennini, J.-B. Alberti, Ghiberti, Paolo Uccello, Piero della
Francesca, Léonard de Vinci, Cellini, Vasari avaient écrit, écrivaient
ou allaient écrire des traités didactiques sur l'architecture, la perspec-
tive, la sculpture, la peinture, l'orfèvrerie ou même sur les sciences
exactes ou naturelles, géométrie, hydraulique, anatomie, géologie.
Les artistes ouvraient des cadavres pour connaître le mécanisme de la
matière en mouvement. Avant de se permettre avec Raphaël, avec
Titien, avec Michel-Ange de demander à la forme son dynamisme,
de la promener en tous sens pour les besoins de l'expression en obéis-
sant toujours à sa loi de continuité, l'intelligence italienne dut en
fixer l'architecture, essayer d'inscrire ses images dans le triangle et
le cercle, d'établir son accord avec la fuite de l'espace et la succession
des plans. C'est du triple effort des géomètres Uccello, Piero della
Francesca, Mantegna, Vinci, des peintres littérateurs Filippo Lippi,
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avec plus de fièvre qu'à Florence et qu'il regarda gravement, un ordre
géométrique caractérisait ses tableaux. La tragédie sentimentale ne
consentait pas à s'exprimer autrement que par le jeu catégorique
des lignes dominantes de la forme en mouvement. Tableaux hallu-
cinants, apparitions d'ombres vivantes sur des fonds presque abstraits
où la rigueur des lignes droites qui enfoncent ou déploient le drame
mécaniquement intensifie sa force nerveuse et sa pathétique beauté.
La dynamique puissante d'Uccello animera, par Piero della Fran-
cesca et Signorelli avant tous les autres et jusqu'à la fin de Michel-
Ange, l'âge noble des Italiens. Le caractère universel de l'artiste de
Florence, sans doute, l'empêcha de s'épanouir. S'il eût suivi son ins-
tinct jusqu'au bout, il eût rencontré probablement plus tôt l'émotion
créatrice débarrassée du souci de la technique à employer, parce
qu'ayant absorbé, digéré, assimilé cette technique devenue fonction
même de l'intelligence et du cœur. Mais le siècle suivant gagna à son
enquête impitoyable une force et une grandeur que l'Europe tout
entière fut obligée de subir. La discipline rigoureuse que s'imposa
l'esprit florentin et qui remit à plus tard une réalisation qu'il savait
ne pas pouvoir espérer pour lui-même, excita sa curiosité, révéla
des énergies sans nombre, éclaira sur leur valeur propre des intelli-
gences qui ne savaient pas, dans le chaos des connaissances, où se
trouvait l'instrument libérateur. Leone Battista Alberti était à la fois
architecte, peintre, géomètre, ingénieur, dramaturge, poète, latiniste,
théologien. Brunelleschi, déterminant l'action toute puissante de ses
disciples directs, Donatello, Masaccio, Uccello, créait réellement la
perspective linéaire, qui permit à ses successeurs d'introduire entre
des plans géométriques l'illusion de la vie se déroulant en profondeur.
Cennino Cennini, J.-B. Alberti, Ghiberti, Paolo Uccello, Piero della
Francesca, Léonard de Vinci, Cellini, Vasari avaient écrit, écrivaient
ou allaient écrire des traités didactiques sur l'architecture, la perspec-
tive, la sculpture, la peinture, l'orfèvrerie ou même sur les sciences
exactes ou naturelles, géométrie, hydraulique, anatomie, géologie.
Les artistes ouvraient des cadavres pour connaître le mécanisme de la
matière en mouvement. Avant de se permettre avec Raphaël, avec
Titien, avec Michel-Ange de demander à la forme son dynamisme,
de la promener en tous sens pour les besoins de l'expression en obéis-
sant toujours à sa loi de continuité, l'intelligence italienne dut en
fixer l'architecture, essayer d'inscrire ses images dans le triangle et
le cercle, d'établir son accord avec la fuite de l'espace et la succession
des plans. C'est du triple effort des géomètres Uccello, Piero della
Francesca, Mantegna, Vinci, des peintres littérateurs Filippo Lippi,
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