Pollaiuolo, Botticelli, et des prophètes Della Quercia, Masaccio, Dona-
tello, que l'art italien est sorti.
L'élément pittoresque qui ne lui servit que de prétexte venait de
Venise et des peintres nomades qui suivaient les chemins à pied ou
à cheval, assistaient aux batailles quotidiennes que les condottieri
et leurs bandes se livraient à tous les défilés, s'arrêtaient dans les villes
pour décorer un baptistère et repartaient chercher le pain. Ceux-là
furent les meilleurs. Ils s'appelèrent Giotto, Taddeo Gaddi, Angelico,
Benozzo Gozzoli, Paolo Uccello, Filippo Lippi, Gentile da Fabriano,
Piero della Francesca, Luca Signorelli, Bernardino Pinturrichio. Ils
allaient de Florence à Pise, de Pise à Sienne, de Sienne à San Gimi-
gnano, de San Gimignano à Urbin, d'Urbin à Arezzo, d'Arezzo à
San Sepolcro, de San Sepolcro à Pérouse, à Assise, à Orvieto, à Spo-
lete, de Spolete à Rome. C'étaient des ouvriers, ils travaillaient
ensemble, ils se transmettaient leurs secrets, chacun peignait sa
muraille, un autre achevait le travail de celui que la mort prenait, les
palais, les temples, les municipes, les couvents, les cimetières se cou-
vraient de peintures, on décorait jusqu'aux façades, une merveilleuse
espérance fleurissait toutes les cités. En Lombardie, en Vénétie, sur-
tout en Toscane, en Ombrie, il y a partout des fresques, des villages
infimes ont une église, une chapelle peinte, les praticiens partaient
pour quelques mois hors de l'atelier d'origine, puis restaient jusqu'à
la mort là où ils étaient allés. D'autres fois, ils n'achevaient pas leur
ouvrage, mieux payés pour se rendre ailleurs. Comme ils croyaient
en eux, qu'ils avaient une force immense, ils ne craignaient pas de
laisser un peu de leur vie à chaque pierre du chemin, le désir du travail
futur était le but de leur travail. Presque tous se portaient ombrage,
mais l'argent ne comptait pas. Chacun pensait avoir en lui la plus
belle œuvre et d'effort en effort grandissait pour vaincre. Quelle
ouverture sur la vie, en ces temps où la vie était toujours une menace,
que ce compagnonnage de métier, ces rivalités d'intelligence et aussi
ces aventures de route inconnues des habitants des villes et des peintres
patentés ! Il fallait tous les jours céder ou résister aux sollicitations
des paysages qu'on traversait, des rixes auxquelles on assistait, des
cortèges princiers rencontrés aux carrefours, des belles créatures dont
un regard, un rire, un geste des deux bras, une torsion des hanches,
enferment plus d'éternité que toutes les esthétiques en lutte dans
l'esprit des intellectuels.
Benozzo Gozzoli ne put échapper à l'influence des écrivains et
des mécènes que parce qu'il menait cette vie-là. Quand il travaillait
à Pise ou à San Gimignano, il était presque aussi loin de Florence
que son maître Angelico isolé entre les quatre murs d'un cloître et
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tello, que l'art italien est sorti.
L'élément pittoresque qui ne lui servit que de prétexte venait de
Venise et des peintres nomades qui suivaient les chemins à pied ou
à cheval, assistaient aux batailles quotidiennes que les condottieri
et leurs bandes se livraient à tous les défilés, s'arrêtaient dans les villes
pour décorer un baptistère et repartaient chercher le pain. Ceux-là
furent les meilleurs. Ils s'appelèrent Giotto, Taddeo Gaddi, Angelico,
Benozzo Gozzoli, Paolo Uccello, Filippo Lippi, Gentile da Fabriano,
Piero della Francesca, Luca Signorelli, Bernardino Pinturrichio. Ils
allaient de Florence à Pise, de Pise à Sienne, de Sienne à San Gimi-
gnano, de San Gimignano à Urbin, d'Urbin à Arezzo, d'Arezzo à
San Sepolcro, de San Sepolcro à Pérouse, à Assise, à Orvieto, à Spo-
lete, de Spolete à Rome. C'étaient des ouvriers, ils travaillaient
ensemble, ils se transmettaient leurs secrets, chacun peignait sa
muraille, un autre achevait le travail de celui que la mort prenait, les
palais, les temples, les municipes, les couvents, les cimetières se cou-
vraient de peintures, on décorait jusqu'aux façades, une merveilleuse
espérance fleurissait toutes les cités. En Lombardie, en Vénétie, sur-
tout en Toscane, en Ombrie, il y a partout des fresques, des villages
infimes ont une église, une chapelle peinte, les praticiens partaient
pour quelques mois hors de l'atelier d'origine, puis restaient jusqu'à
la mort là où ils étaient allés. D'autres fois, ils n'achevaient pas leur
ouvrage, mieux payés pour se rendre ailleurs. Comme ils croyaient
en eux, qu'ils avaient une force immense, ils ne craignaient pas de
laisser un peu de leur vie à chaque pierre du chemin, le désir du travail
futur était le but de leur travail. Presque tous se portaient ombrage,
mais l'argent ne comptait pas. Chacun pensait avoir en lui la plus
belle œuvre et d'effort en effort grandissait pour vaincre. Quelle
ouverture sur la vie, en ces temps où la vie était toujours une menace,
que ce compagnonnage de métier, ces rivalités d'intelligence et aussi
ces aventures de route inconnues des habitants des villes et des peintres
patentés ! Il fallait tous les jours céder ou résister aux sollicitations
des paysages qu'on traversait, des rixes auxquelles on assistait, des
cortèges princiers rencontrés aux carrefours, des belles créatures dont
un regard, un rire, un geste des deux bras, une torsion des hanches,
enferment plus d'éternité que toutes les esthétiques en lutte dans
l'esprit des intellectuels.
Benozzo Gozzoli ne put échapper à l'influence des écrivains et
des mécènes que parce qu'il menait cette vie-là. Quand il travaillait
à Pise ou à San Gimignano, il était presque aussi loin de Florence
que son maître Angelico isolé entre les quatre murs d'un cloître et
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