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comprendre du premier coup, qu'amusent et passionnent simulta-
nément ou tour à tour les discours des orateurs et des marchands
populaires, il ne faut pas demander de rechercher dans le calme
discret de l'existence familiale les sources de son émotion et les moyens
de son action. La passion est révélatrice de vérité et d'héroïsme par
des voies parfois plus douloureuses, mais aussi sûres que la médi-
tation.
Quoi qu'il en soit, Ghirlandajo fit rentrer dans la vie florentine et
parvint presque à l'incorporer aux masses peintes et à l'espace, le
trait nerveux de Filippo Lippi. C'est un effort surprenant à cette
heure où Botticelli, au contraire, tentait de dégager ce trait de la
matière de la vie pour donner une animation factice aux abstractions
littéraires de l'intellectualisme florentin. Nous savons que Ghirlan-
dajo eut neuf enfants, dont plusieurs furent peintres et ses élèves,
qu'il travailla sans arrêt, et Vasari nous dit qu'il possédait « un cou-
rage invincible ». Quand on compare cette vie à l'inquiétude perpé-
tuelle, l'incohérence douloureuse, l'agitation de celle de Botticelli qui
se poursuivait « au jour le jour » (i) on comprend mieux le contraste.
Là, un grand ouvrier, quelque pesanteur bourgeoise, peu de lyrisme,
beaucoup de force et de savoir, ici un « cerveau alambiqué » (i),
un éperdu désir sans cesse brisé par la vie de dépasser et d'oublier
la vie. Chez Botticelli, la ligne trépidante de Donatello et de Lippi
n'obéit plus qu'à la direction compliquée, abstraite et au fond parfai-
tement obscure d'une sensibilité qui se nourrit d'aliments décomposés.
Elle exaspère ses courbes, ses angles, elle exagère encore la torsion
des membres et des têtes, paraît chercher sur les corps nus des jeunes
hommes et des jeunes femmes de Florence les marques de la dégéné-
rescence qui frappe l'énergie de la cité. Antonio Pollaiuolo, à peu
près à la même heure, avec la même perversion intellectuelle et la
même acuité nerveuse, mais moins d'imagination, faisait d'étranges
recherches de couleurs, mélangeait des tons précieux et rares en moires
d'eaux croupissantes. La passion italienne se dévoyait. L'humanisme,
en cueillant dans l'œuvre de Platon la fleur presque fanée de l'âme
antique, en avait éteint le parfum. L'intellectuel florentin, pour avoir
voulu commencer par où la Grèce avait fini, se voyait obligé de se
transporter dans une sphère artificielle d'où l'élément tressaillant et
vivant que fournit l'inépuisable monde était proscrit. Le symbolisme
naturel des poètes du moyen âge revivait en plante de serre, inconnue
et chétive et qui devait mourir de son premier contact avec l'air ardent
du dehors.
(i) Vasari.

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