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vivante, avait forgé dans le sang et la fièvre le langage de sa passion.
Que dire avec lui maintenant? N'y avait-il donc aucune direction à
donner à notre vie sentimentale? Fallait-il, comme Raphaël, réunir
tous ses courants dans une harmonie indifférente où nous ne pourrions
trouver le repos qu'au moment même où nous nous livrerions à elle?
Au delà du rythme naturel qu'un grand esprit sans inquiétude pou-
vait trouver dans un monde pour qui sonnait l'heure de satisfaire
le désir qui avait dicté son effort, n'était-il pas d'autres rythmes capables
de bercer le désespoir des hommes quand ils sentiraient que l'équi-
libre un moment conquis leur échappe? Après Mozart, Beethoven.
La grandeur de Michel-Ange, c'est d'avoir compris et d'avoir dit
que le bonheur définitif ne nous est pas accessible, que l'humanité
cherche le repos pour ne plus souffrir, et, pour ne pas mourir, se
replonge dans la souffrance dès qu'elle a trouvé le repos. Le mar-
tyre de Florence, déchirée sans s'en rendre compte entre son besoin
de définir la forme et son spiritualisme éperdu, naît de sa propre
incertitude. Michel-Ange, où se prolonge ce martyre, saisit la certi-
tude, mais il exprime la douleur même qu'on traverse pour la saisir.
La composition centrale du plafond de la Sixtine est le centre de sa
pensée. Le serpent dont les anneaux s'enroulent autour de l'arbre soli-
taire est à la fois la tentation qui se penche sur l'homme et la femme,
et l'ange qui les chasse du paradis. Le choix n'est pas possible. Si
nous ne voulons pas connaître, nous ne jouirons pas. Dès que nous
connaîtrons, nous commencerons à souffrir. Michel-Ange révèle aux
hommes qu'ils ne peuvent rien espérer au delà de cet équilibre qui ne
les satisfait pas, et, plein d'amertume à l'idée de son impuissance, il
le leur livre avec dédain.
Parfois, et la plupart de ses sculptures en sont l'aveu, il succombe.
Alors, la colère le prend. Il a beau passer ses jours, même ses nuits,
la lampe au front, enfermé avec le marbre, l'attaquer de tous les côtés,
lui, petit, frêle, en arracher un frisson avec chaque éclat qui vole,
la matière le domine. Donatello, della Quercia surtout étaient plus
sculpteurs que lui. Il y a des morceaux héroïques, la sombre Nuit,
l'Aurore avec son ventre profond, ses bras, ses cuisses aussi pleines
que les rameaux d'un arbre, son visage où le désespoir monte avec
le réveil, son Torse, avec ses membres noueux, ses genoux craquants,
sa torsion, ses plis terribles. Pas un ensemble ne survit. Que l'esclave
torde ses chaînes, que les genoux de la vierge supportent le poids d'un
Dieu, que l'enfant se retourne pour mordre le sein maternel, que le
crépuscule et le sommeil noient les fronts, écrasent les yeux, ce n'est
pas là qu'est le drame. Notre émotion est comme une révolte, une gêne
dont il nous en voudrait de nous savoir atteints. Elle vient de sa lutte

T. III.

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