vite de ses propres excès. La peinture de Venise n'eut presque pas de
primitifs.
Ou plutôt c'est hors de Venise que ses peintres allèrent chercher
l'initiation. Si l'on en excepte l'apport mal déterminé, mais certain,
de Jacopo d'Avanzo et d'Altichieri, les vieux décorateurs de Vérone
contemporains des derniers gothiques de Florence, c'est Sienne sur-
tout, l'école mystique, qui par Gentile da Fabriano alluma le foyer
vénitien destiné pourtant à dévorer le dernier vestige du mysticisme
en Italie. Gentile, au commencement du xve siècle, avait travaillé à
Venise, comme à Rome, avec le Véronais Pisanello. Celui-ci tenait à
Florence, où Andrea del Castagno lui avait appris la peinture. Il
gardait des Toscans leur affirmation tranchante, l'esprit de décision,
l'accent qu'il faut pour entamer le métal des médailles d'un trait sûr.
Depuis les Syracusains, on n'avait plus revu cette fermeté dans la
frappe, ce modelé savoureux et nuancé, cette pénétrante et vigoureuse
élégance d'expression. Les innombrables croquis dont il couvrait ses
albums quand les bateaux déchargeaient sur la Piazzetta des animaux
exotiques, des oiseaux multicolores, des papillons et des insectes
inconnus, avaient assoupli son burin. Presque Japonais pour saisir
la particularité des bêtes, presque Allemand pour sa minutie appuyée
et sa matière un peu ligneuse — comme Mantegna, comme Vinci,
comme tant d'autres peintres de l'Italie du Nord où l'Allemagne, par
ses négociants et ses reîtres, ne cessait pas depuis dix siècles de des-
cendre — il vit Venise avec Gentile, avant même les Vénitiens. Tous
deux venaient des villes du versant occidental avec un esprit presque
mûr. Tous deux adoraient les cortèges, les robes qui traînent, les
chaînes d'or, les bonnets, les turbans, les pelisses, la confusion magni-
fique des peuples, le tourbillon fatal des foules en action. En retour,
c'est par eux que l'Italie, avec Pinturicchio, avec Gozzoli accepta
l'invasion pittoresque des navigations et de l'Orient et fit entrer les
premiers éléments du romantisme dans le cycle shakespearien.
Jacopo Bellini, l'initiateur réel de la peinture vénitienne, avait
connu d'ailleurs par d'autres que Pisanello la vigueur des vieux Tos-
cans. Après Giotto, avant Paolo Uccello et Filippo Lippi, Donatello
séjourna longtemps à Padoue, aux portes de Venise où il impressionna
tous les artistes locaux. Padoue, célèbre dès le début du xiiie siècle,
était une autre Florence, presque aussi riche qu'elle d'activité et de
rayonnement, mais d'un caractère moins littéraire, plus réaliste, scien-
tifique eût-on dit plus tard. Presque tous les jeunes peintres de l'Italie
du Nord — notamment ces Ferrarais étranges, Gosimo Tura, Ercole
Roberti, Francesco Gossa surtout, Mantegna plus âpre et plus sauvage,
pauvre et déchiré comme un loup — y traversèrent, au milieu
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primitifs.
Ou plutôt c'est hors de Venise que ses peintres allèrent chercher
l'initiation. Si l'on en excepte l'apport mal déterminé, mais certain,
de Jacopo d'Avanzo et d'Altichieri, les vieux décorateurs de Vérone
contemporains des derniers gothiques de Florence, c'est Sienne sur-
tout, l'école mystique, qui par Gentile da Fabriano alluma le foyer
vénitien destiné pourtant à dévorer le dernier vestige du mysticisme
en Italie. Gentile, au commencement du xve siècle, avait travaillé à
Venise, comme à Rome, avec le Véronais Pisanello. Celui-ci tenait à
Florence, où Andrea del Castagno lui avait appris la peinture. Il
gardait des Toscans leur affirmation tranchante, l'esprit de décision,
l'accent qu'il faut pour entamer le métal des médailles d'un trait sûr.
Depuis les Syracusains, on n'avait plus revu cette fermeté dans la
frappe, ce modelé savoureux et nuancé, cette pénétrante et vigoureuse
élégance d'expression. Les innombrables croquis dont il couvrait ses
albums quand les bateaux déchargeaient sur la Piazzetta des animaux
exotiques, des oiseaux multicolores, des papillons et des insectes
inconnus, avaient assoupli son burin. Presque Japonais pour saisir
la particularité des bêtes, presque Allemand pour sa minutie appuyée
et sa matière un peu ligneuse — comme Mantegna, comme Vinci,
comme tant d'autres peintres de l'Italie du Nord où l'Allemagne, par
ses négociants et ses reîtres, ne cessait pas depuis dix siècles de des-
cendre — il vit Venise avec Gentile, avant même les Vénitiens. Tous
deux venaient des villes du versant occidental avec un esprit presque
mûr. Tous deux adoraient les cortèges, les robes qui traînent, les
chaînes d'or, les bonnets, les turbans, les pelisses, la confusion magni-
fique des peuples, le tourbillon fatal des foules en action. En retour,
c'est par eux que l'Italie, avec Pinturicchio, avec Gozzoli accepta
l'invasion pittoresque des navigations et de l'Orient et fit entrer les
premiers éléments du romantisme dans le cycle shakespearien.
Jacopo Bellini, l'initiateur réel de la peinture vénitienne, avait
connu d'ailleurs par d'autres que Pisanello la vigueur des vieux Tos-
cans. Après Giotto, avant Paolo Uccello et Filippo Lippi, Donatello
séjourna longtemps à Padoue, aux portes de Venise où il impressionna
tous les artistes locaux. Padoue, célèbre dès le début du xiiie siècle,
était une autre Florence, presque aussi riche qu'elle d'activité et de
rayonnement, mais d'un caractère moins littéraire, plus réaliste, scien-
tifique eût-on dit plus tard. Presque tous les jeunes peintres de l'Italie
du Nord — notamment ces Ferrarais étranges, Gosimo Tura, Ercole
Roberti, Francesco Gossa surtout, Mantegna plus âpre et plus sauvage,
pauvre et déchiré comme un loup — y traversèrent, au milieu
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