du xve siècle, l'atelier de Squarcione, un grand collectionneur de sculp-
tures anciennes qui avait voyagé en Italie et, chose plus rare à cette
époque, en Grèce. Padoue, beaucoup plus que Florence, subissait
l'influence de l'antiquité véritable vers qui le voisinage de Venise, en
rapports constants avec le monde grec et chrétienne seulement de
nom, l'entraînait plus directement.
Si le génie de Mantegna sut résister à l'action dangereuse d'une
culture trop forte pour que son temps pût l'accueillir, c'est que ce
temps brûlait d'une flamme incomparable. C'est aussi qu'il retrouvait
dans les besoins de sa race l'esprit généralisateur des anciens âges
évoqués. Il fut peut-être le seul en Italie à s'inspirer de façon directe
et permanente des marbres rapportés de Grèce ou retrouvés dans le
sol. Il étudia avec passion les collections de Squarcione, en assembla
lui-même et voulut aller voir à Rome ce qui restait des murs croulants
et des temples enfouis. Et c'est par lui que l'âme antique participa le
plus solidement à constituer le squelette d'un monde qui cherchait
avec obstination les sources du vieil idéal. Mais par bonheur sa vigueur
expressive forçait son érudition. L'œil ne s'attache pas aux plis des
toges, aux chars, aux acanthes des colonnades, aux enseignes, aux
palmes, aux torchères, aux lauriers, aux couronnes des pompes consu-
laires, aux attributs extérieurs savamment reconstitués des cortèges
triomphaux que regrettaient les Italiens. Qu'il soit hanté par le souci
de la vérité historique et du pittoresque local, poursuivi par le souvenir
des bas-reliefs romains creusés sur les sarcophages, la force tendue de
son lyrisme dompte et entraîne tout. Une implacable volonté coule
les groupes sculpturaux dans un moule métallique d'où le son dur du
nouvel univers s'échappe comme malgré lui. Il a beau pétrir, malaxer,
discipliner la vie qui monte, elle fait craquer les armures, elle gonfle
les seins, les bras, les jambes des femmes, elle éclate dans la lumière
et le profond ciel bleu tout semé de nuages blancs. Elle vibre dans les
flèches que les archers impitoyables lancent sur saint Sébastien.
Étrange artiste, qui tenta de boire à toutes les sources taries, n'y trouva
que des pierres mortes et sut pourtant les animer de cette sorte d'ivresse
intellectuelle où le monde avide d'apprendre se consolait de moins
sentir. Cette sève latine, ce noble idéalisme grec qu'il crut devoir
toute sa vie aux œuvres si longtemps et si étroitement étudiées, tour-
mentaient déjà sa race dans les statues militaires et les enfants médi-
tatifs de Donatello. Rien ne lui avait appris à aimer les nudités jeunes,
les femmes qui dansent en rond avec des grâces animales, les épaisses
guirlandes de verdure étouffant des fruits, les grands paysages précieux
qui paraissent gravés avec l'arête d'un diamant et les hautes architec-
tures et les vieilles villes italiennes ciselées sur les collines où montent
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tures anciennes qui avait voyagé en Italie et, chose plus rare à cette
époque, en Grèce. Padoue, beaucoup plus que Florence, subissait
l'influence de l'antiquité véritable vers qui le voisinage de Venise, en
rapports constants avec le monde grec et chrétienne seulement de
nom, l'entraînait plus directement.
Si le génie de Mantegna sut résister à l'action dangereuse d'une
culture trop forte pour que son temps pût l'accueillir, c'est que ce
temps brûlait d'une flamme incomparable. C'est aussi qu'il retrouvait
dans les besoins de sa race l'esprit généralisateur des anciens âges
évoqués. Il fut peut-être le seul en Italie à s'inspirer de façon directe
et permanente des marbres rapportés de Grèce ou retrouvés dans le
sol. Il étudia avec passion les collections de Squarcione, en assembla
lui-même et voulut aller voir à Rome ce qui restait des murs croulants
et des temples enfouis. Et c'est par lui que l'âme antique participa le
plus solidement à constituer le squelette d'un monde qui cherchait
avec obstination les sources du vieil idéal. Mais par bonheur sa vigueur
expressive forçait son érudition. L'œil ne s'attache pas aux plis des
toges, aux chars, aux acanthes des colonnades, aux enseignes, aux
palmes, aux torchères, aux lauriers, aux couronnes des pompes consu-
laires, aux attributs extérieurs savamment reconstitués des cortèges
triomphaux que regrettaient les Italiens. Qu'il soit hanté par le souci
de la vérité historique et du pittoresque local, poursuivi par le souvenir
des bas-reliefs romains creusés sur les sarcophages, la force tendue de
son lyrisme dompte et entraîne tout. Une implacable volonté coule
les groupes sculpturaux dans un moule métallique d'où le son dur du
nouvel univers s'échappe comme malgré lui. Il a beau pétrir, malaxer,
discipliner la vie qui monte, elle fait craquer les armures, elle gonfle
les seins, les bras, les jambes des femmes, elle éclate dans la lumière
et le profond ciel bleu tout semé de nuages blancs. Elle vibre dans les
flèches que les archers impitoyables lancent sur saint Sébastien.
Étrange artiste, qui tenta de boire à toutes les sources taries, n'y trouva
que des pierres mortes et sut pourtant les animer de cette sorte d'ivresse
intellectuelle où le monde avide d'apprendre se consolait de moins
sentir. Cette sève latine, ce noble idéalisme grec qu'il crut devoir
toute sa vie aux œuvres si longtemps et si étroitement étudiées, tour-
mentaient déjà sa race dans les statues militaires et les enfants médi-
tatifs de Donatello. Rien ne lui avait appris à aimer les nudités jeunes,
les femmes qui dansent en rond avec des grâces animales, les épaisses
guirlandes de verdure étouffant des fruits, les grands paysages précieux
qui paraissent gravés avec l'arête d'un diamant et les hautes architec-
tures et les vieilles villes italiennes ciselées sur les collines où montent
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