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traces de l'ascétisme primitif accusaient leur squelette, séchaient leur
peau, tiraient leur visage que la souffrance n'avait pas tout à fait
déserté. Mais ils s'emparaient tous, surtout la Madone et l'Enfant
vêtus de ces rouges et de ces bleus enveloppés d'or dont se souvien-
dront les peintres qui vont suivre, d'une égalité d'âme oublieuse des
maternités meurtries, des temps de misère et de massacre, et de la
dignité qui vient des fonctions naturelles acceptées sans résistance et
accomplies sans remords. Vers la fin de sa vie, la vraie lumière et le
ciel de Venise, parfois les grandes forêts qu'aimera Titien entrent dans
ses tableaux, et les paysages un peu découpés du début commencent
à noyer leurs lignes, à s'apaiser, à respirer profondément. Il entrevoit
la mer. Il perçoit le frisson du monde. Il a presque complètement
déplacé le terrain du drame et livre à l'espace la forme jusque-là
à demi prisonnière du sentiment moral. Il définit le premier ce
qui fait le fond même de la nature de Venise, son sensualisme
universel.
Il appartenait d'ailleurs aux deux fils de Jacopo de fournir aux
grands Vénitiens les éléments du poème. Giovanni cherchait l'épa-
nouissement même de la forme dans les courants qui naissaient de
son centre et la portaient vers le dehors. Gentile lui apportait tout
l'extérieur de la terre, le ciel, les étrangers, l'Orient entrevu et vive-
ment senti dans un voyage triomphal qu'il fit à Constantinople. Tandis
que les Vivarini de Murano, peintres durs et virils de l'âge militaire,
voyaient déjà pourtant flotter des étendards de soie sur les défilés
magnifiques, Gentile regardait Venise de plus près, ses façades peintes,
ses maisons vertes et roses, ses canaux lourds, les tapis pendus aux
balcons et Saint-Marc resplendissant d'or et les processions solennelles
où les noirs purs brillaient à côté des rouges éclatants. Presque pas
d'atmosphère encore. Une blondeur cendrée à peu près uniforme.
Lazzaro Sebastiani n'introduira là qu'un peu plus tard ses harmonies
dorées et chaudes. Une foule parée, déjà, mais immobile et symétrique,
comme attendant quelqu'un pour l'animer. Il faudra que l'imagination
la plus poétique de la peinture, peut-être, avec celle de Gozzoli, résume
le travail qui s'échelonne de Gentile da Fabriano à Gentile Bellini
pour donner son essor à cet orientalisme romantique où Shakespeare
viendra ramasser la matière inépuisable, torrentueuse, mouvante, de
ses drames désordonnés. Quand Vittore Carpaccio eut traversé le
monde, il y avait au berceau de la pensée de Venise autre chose que
de la chair, de l'espace et de la couleur : la mort, l'amour, la volupté,
une extraordinaire ardeur de rêve étaient entrés pêle-mêle avec la
légende et la vie. Une vision féerique flottait dans les drapeaux, le
bruit des perles et de l'or, l'espoir, le souvenir. La peinture était libre

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